Page:Octave Mirbeau Un gentilhomme 1920.djvu/213

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Très souvent, Thérèse avait eu l’idée d’aller voir sa petite Cécile. Malheureusement, cela ne s’était pas arrangé. Chaque fois, un rendez-vous imprévu, un souper auquel elle n’avait pas pris garde, une première représentation avancée ou retardée, et mille autres événements de cette importance avaient empêché la réalisation de ces projets maternels. Et vraiment, on ne peut pas dire que ce fût jamais sa faute. Les choses semblaient mettre un acharnement incroyable et une persistante ironie à reculer toujours les joies, tant de fois promises, de ce déplacement.

Mais le cœur y était.

Enfin, un jour, elle décida que cela ne pouvait durer ainsi. Elle partit pour la Bourgogne et ramena Cécile.

Cécile n’était point telle qu’elle l’avait imaginée. Au lieu de cette belle apparence de santé robuste et impersonnelle, elle vit une enfant chétive, silencieuse et triste, et très pâle, d’une pâleur de fleur enfermée.

— On ne sait pas ce qu’elle a, avaient dit les nourriciers bourguignons… On ne peut rien en tirer… Elle ne parle jamais…

Elle avait, du reste, et Thérèse le remarqua avec une presque terreur, elle avait des yeux extraordinaires, de grands yeux noirs, fixes et brillants, de grands yeux noirs derrière lesquels il semblait que se passaient des choses profondes et douloureuses.