Page:Octave Mirbeau Un gentilhomme 1920.djvu/243

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Car je ne pouvais même pas rester dans cette maison, à lire, à rêver ou à fumer, dans cette maison envahie où pas un siège n’était libre, où il m’eût été impossible d’y trouver un coin où je n’eusse pas gêné quelque chose d’elle. Je n’avais même pas la ressource de m’asseoir sur une malle : elles étaient, toutes, béantes.

Alors, je sortais…

Il me fallait franchir des montagnes de taffetas, de linon, de batiste, des vallées de dentelles, des forêts de chapeaux, des mers moutonnantes de chemises, des récifs de corsets…

Et je m’en allais, triste et dépité, sur les quais du port… Mais le port avait perdu son charme… Je ne reconnaissais plus ses bruits de choses lointaines et inconnues… Et il me venait de la mer, au loin, je ne sais quels regrets, informulés encore, mais amers, très amers, oh ! si amers ! Et la voix des sirènes me semblait l’expression même de la détresse de mon âme… Avoir fait ce rêve merveilleux d’être l’un à l’autre, sans cesse, les yeux dans les yeux, la main dans la main !… Et errer, piteusement, le long de ces bassins où plus rien ne m’intéressait, ni la majesté des steamers, ni la rude physionomie des matelots, ni la forêt des mâts, ni les voiles des barques en partance pour la pêche !…

En rentrant, je me disais :

« Ô poésie des voyages adultères !… Est-ce que M. Paul Bourget se serait moqué de nous ?…