Page:Octave Mirbeau Un gentilhomme 1920.djvu/46

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Elle revint près de moi, se pencha sur moi, saisit ma tête dans ses petites mains fiévreuses :

— C’est vrai qu’il est tout pâle ! s’écria-t-elle avec un élan de tendresse… Et comme tu es maigre ! Ah vrai ! Et tes pauvres yeux !… Et tes mains glacées !… Pauvre petit !…

J’avais la gorge serrée, le cœur défaillant.

— J’ai faim… j’ai faim !… sanglotais-je.

Et elle aussi sanglotait :

— Mais, mon mignon… mon cher mignon !… je n’ai rien… rien… moi non plus, ce soir, je n’ai pas mangé. Je comptais… n’est-ce pas ?… Et voilà !… Comme c’est bête !… Et il n’y a pas un sou, ici… pas un morceau de pain… rien… Je te jure qu’il n’y a rien !…

— N’importe quoi !

— Comment faire, mon Dieu ! Comment faire ?… On m’a mise à la porte de la crémerie où je dois deux mois… Nulle part je n’ai de crédit… Crois-tu que c’est de la chance !

— N’importe quoi !… Je t’en supplie…

Ses larmes redoublaient ; redoublaient aussi ses caresses et, en pleurant, et en me caressant, elle gémissait dans la sincère douleur de son impuissance :

— Mon mignon… mon pauvre mignon… ne pleure pas… Tu me fais trop de peine… Mais comment faire, mon Dieu ?… Je ne sais pas… C’est affreux !…

Tandis que, machinalement, pris d’une sorte