Page:Octave Mirbeau Un gentilhomme 1920.djvu/49

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

tour… Des mots précis, d’affreux mots empruntés à l’argot de la débauche, parvinrent jusqu’à moi… des mots d’elle… des mots de lui… Puis, bientôt, entre des silences, la voix de l’homme changea d’inflexion. Il me fut impossible de me méprendre à ce qu’elle signifiait… Je ne bougeai pas… J’aurais voulu dormir encore, dormir d’un sommeil profond, pour ne pas entendre cette voix et les bruits qui accompagnaient cette voix. Ce furent des minutes atroces, mais je ne bougeai pas… Un mince filet de lumière encadrait la porte et faisait moins épaisses les ténèbres de la pièce où j’étais couché… Et cette lumière rendait aussi en quelque sorte visible, oui, elle matérialisait à mes yeux la scène infâme qui se passait derrière cette porte… à cause de moi ! Mais je ne bougeai pas…

« Tu mangeras… je te jure que tu mangeras, mon cher mignon… »

Les paroles de tout à l’heure dominaient, de leurs promesses, l’horreur des autres paroles… elles me clouaient au divan… non, en vérité, je ne bougeai pas… Et, au fond de moi-même, je murmurai :

« N’importe quoi ! n’importe quoi ! »

Enfin les voix dans la chambre reprirent une intonation normale, les bruits une signification plus familière. Quelques instants encore… et je perçus des pas dans l’escalier… des pas qui allaient s’éloignant dans l’escalier… les pas