Page:Octave Mirbeau Un gentilhomme 1920.djvu/54

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le soir, d’un repas pour le lendemain, lorsque, par l’intermédiaire d’une personne que j’avais servie jadis, et qui continuait, le cher homme, à me vouloir du bien, on me proposa d’entrer, comme secrétaire, chez le marquis d’Amblezy-Sérac, lequel pensait que le moment était venu pour lui de se lancer dans la carrière politique. Je ne pouvais refuser une telle aubaine, et, encore moins, dicter des conditions par quoi ma dignité serait sauvegardée. Je n’y songeai même pas, et j’acceptai ce qu’on m’offrait : deux cents francs par mois, la table, le logement, le blanchissage… Il n’avait pas été question du vin, mais j’imagine qu’il avait dû être compris dans la nourriture… J’acceptai cette situation comme une nécessité, sans enthousiasme, et aussi sans récriminations contre le sort qui décidément ne me permettrait jamais de vivre pour mon compte, et s’acharnait à ne me laisser à moi-même que le temps de la souffrance et de la misère. Pourtant j’aurais pu, j’aurais dû être heureux de ce dernier hasard. Jusqu’ici je n’avais été appelé qu’auprès de vagues bonshommes, candidats à la députation et à l’Académie, historiens documentaires, statisticiens falots, organisateurs d’œuvres de bienfaisance, sots ignorants, vertueuses crapules, bouffons orgueilleux dont « le champ d’action » et « la sphère d’influence » — c’est ainsi qu’ils parlaient — étaient fort restreints,