Page:Octave Mirbeau Un gentilhomme 1920.djvu/57

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comme une chose due, comme une dîme, et que personne, personne ne s’intéressait à moi, alors je ne leur en ai donné à tous que pour leur argent, lequel était maigre. Moi aussi, je me suis désintéressé totalement de qui se désintéressait de moi, et je n’ai plus songé qu’à éluder, de toutes les manières, ce qu’autrefois je considérais comme un devoir et qui, en réalité, n’était que sottise et duperie… Immédiatement j’ai réglé mon compte avec la morale sociale, avec la morale des moralistes vertueux qui n’est qu’une hypocrisie destinée non pas même à cacher sous un voile de respectabilité, mais à légitimer hardiment toutes les vilenies, toutes les férocités, tous les appétits meurtriers des dirigeants et des heureux… Très timide en toutes les manifestations extérieures de mon individu, mais d’âme silencieusement violente, je ne suis point fait pour l’action, qui me paraît appartenir — en raison, peut-être, de ce que ma constitution physiologique me l’interdit, — aux esprits irréfléchis et grossiers… Une seule chose m’amuse et m’amuse toujours, — c’est ma seule vertu, c’est par là que de temps à autre je me sens sur beaucoup de mes contemporains une supériorité relative, — l’homme. L’homme en soi. L’homme me réjouit par le composé, extrêmement varié, extrêmement grotesque, extrêmement fou, d’incohérences, de ridicules, de contradictions, de vertus funestes, de mensonges sincères, de