Page:Oeuvres complètes de N. Macchiavelli, avec une notice biographique par J. A. C. Buchon.djvu/100

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
Cette page n’a pas encore été corrigée


eux redoutait sa patrie, celui-là pouvait travailler à sa ruine ; mais que quant à lui il espérait les défendre avec autant de valeur qu’il en avait montré pour en chasser les Guelfes. » Farinata était un homme de grand caractère, excellent guerrier, chef des Gibelins, et fort estimé de Manfredi. Son autorité lit renoncer à ce projet, et cette faction chercha d’autres moyens pour conserver la sienne.

La ville de Lucques, intimidée par les menaces du comte Novello, renvoya les Guelfes qui s’étaient réfugiés dans son sein. Ils se retirèrent à Bologne, d’où ils furent appelés par les Guelfes de Parme, contre les Gibelins qu’ils vainquirent par leur bravoure, et dont ils reçurent en récompense les possessions. Devenus puissants par les richesses et la gloire qu’ils s’étaient acquises, ils envoyèrent par des ambassadeurs offrir leurs services au pape Clément qu’ils savaient avoir invité Charles d’Anjou à venir enlever à Manfredi son royaume. Ce pontife les reçut comme amis, leur donna même son étendard que les Guelfes portèrent toujours depuis à la guerre, et dont les Florentins se servent encore aujourd’hui.

Charles enleva depuis à Manfredi le royaume et la vie. Les Guelfes de Florence ayant contribué à ses succès, leur parti en devint plus fort, et celui des Gibelins plus faible. Ces derniers qui gouvernaient Florence, de concert avec le comte Guido Novello, penseront qu’il était à propos de s’attacher, par quelque bienfait, ce peuple qu’ils avaient accablé d’abord de toutes sortes d’outrages. Mais ce remède, qui leur eût été salutaire s’ils l’eussent employé avant que la nécessité les y forgeât, offert trop tard et à contre cœur, non-seulement ne leur fut d’aucun avantage, mais encore accéléra leur ruine. Ces Gibelins crurent néanmoins regagner l’amitié du peuple et l’associer aux intérêts de leur faction, en lui rendant une partie des honneurs et du pouvoir qu’ils lui avaient enlevé, et en choisissant dans son sein trente-six citoyens qui devaient, avec deux nobles appelés de Bologne, réformer le gouvernement de Florence. Aussitôt que ceux-ci furent réunis, ils distribuèrent toute la ville par corps de métiers, placèrent a la tête de chaque corps un magistrat chargé de lui rendre la justice ; ils lui donnèrent en outre une bannière sous laquelle tout homme devait venir se ranger en armes, quand le besoin de la cité l’exigerait. Ces corps de métiers commencèrent par être au nombre de douze, sept majeurs et cinq mineurs ; Ces derniers s’élevèrent jusques à quatorze, ce qui en forma en totalité vingt et un, tels qu’ils existent aujourd’hui. Ces trente-six réformateurs firent encore d’autres règlements pour le bien public.

Le comte Guido ordonna de lever un impôt sur les citoyens pour nourrir les soldats ; mais il trouva tant d’opposition, qu’il n’osa employer la force pour le faire payer. S’apercevant qu’il avait perdu son autorité, il se réunit aux chefs des Gibelins, et ils résolurent d’enlever au peuple, par la violence, ce que leur imprévoyance leur avait accordé ; mais lorsque les trente-six assemblées se crurent en mesure pour employer la voie des armes, ils firent sonner l’alarme. Les Gibelins épouvantés se retirèrent dans leurs maisons, et les bannières des corps de métiers partirent a l’instant, suivies de beaucoup de gens armés. Cette troupe, apprenant que le comte Guido était avec son parti dans le quartier Saint-Jean, marcha droit à la Trinité, et mit à sa tête Jean Soldanieri ; de son côté, le comte, lorsqu’il sut où était le peuple, alla le trouver. Celui-ci ne songea point à éviter le combat, mais s’avançant vers son ennemi, il le rencontra dans l’endroit où est aujourd’hui la loge des Tornaquinci. Le comte fut repoussé et perdit beaucoup de monde. Son esprit égaré par la peur lui fit craindre que l’ennemi ne vint l’assaillir pendant la nuit, et ne le tuât au milieu de ses soldats battus et découragés. Cette idée lui fit tant d’impression que, sans chercher un autre moyen, il préféra devoir son salut à la fuite qu’à un combat, et se retira à Prato avec ses troupes, contre l’avis des chefs de son parti. Aussitôt qu’il fut en lieu de sûreté, la peur se dissipa ; il reconnut son erreur ; et, voulant la réparer dans la matinée, il reprit, dès la pointe du jour, la route de Florence avec ses troupes, afin de rentrer de vive force dans cette ville qu’il avait lâchement abandonnée. Son projet échoua, parce que le peuple, qui aurait eu beaucoup de peine à l’en faire sortir, l’empêcha facilement d’y pénétrer. Triste