Page:Oeuvres complètes de N. Macchiavelli, avec une notice biographique par J. A. C. Buchon.djvu/102

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ques nobles. Les chefs du peuple s’imaginèrent que le rappel des bannis serait propre à réprimer ces excès ; ce qui donna occasion au légat de remettre l’union dans cette ville. Les Gibelins y rentrèrent ; et, au lieu de douze personnes chargées du gouvernement, on statua qu’il y en aurait quatorze, sept de chaque parti, au choix du pape, et dont les fonctions seraient d’une année. Florence fut régie de cette manière pendant deux ans, jusqu’au pontificat de Martin 1V, Français d’origine. Ce pape rendit au roi Charles toute l’autorité dont Nicolas III l’avait dépouillé. Aussitôt, les factions se réveillèrent en Toscane. Les Florentins s’armèrent contre le gouverneur impérial, changèrent le gouvernement pour en exclure les Gibelins, et mettre un frein à la licence des grands. On était en l’année 1282. Depuis que l’on avait donné aux corps de métiers les places civiles et militaires, ils avaient acquis beaucoup de considération. Usant de leur autorité, ils remplacèrent le conseil des quatorze par un autre de trois membres, et décidèrent que ceux-ci, nommés Prieurs, gouverneraient pendant deux mois, et seraient choisis dans l’ordre de la noblesse ou du peuple, pourvu qu’ils fussent marchands ou artisans. Cette première magistrature fut ensuite de six membres, afin qu’il y eût un délégué de chaque quartier. Ce nombre fut conservé jusqu’en 1342, époque à laquelle celui des quartiers fut réduit à quatre, et celui des prieurs porté à huit. Les circonstances l’avaient quelquefois fait porter à douze dans cet intervalle. Cet établissement amena, comme on le voit dans la suite, la ruine des nobles. parce que le peuple les exclut, d’abord pour différentes raisons, puis sans aucun prétexte. Ils y contribuèrent eux-mêmes par leurs divisions ; car en cherchant à se nuire les uns aux autres, ils se perdirent tous. On donna à ces magistrats un palais pour y fixer leur résidence. L’usage avait été jusque-là de tenir dans les églises les assemblées des magistrats et des conseils. On releva encore leur dignité en y ajoutant des huissiers et d’autres officiers. Quoiqu’ils n’eussent dans le commencement que le nom de prieurs, pour les honorer davantage on les décora dans la suite du titre de Seigneurs. Les Florentins furent tranquilles chez eux pendant quelque temps. Ils en profitèrent pour faire la guerre à ceux d’Arezzo qui avaient chassé de leur ville les Guelfes, et remportèrent sur eux une victoire complète à Campaldino. Florence croissant en population et en richesses, il parut nécessaire d’agrandir l’enceinte de ses murs. On lui donna l’étendue qu’elle conserve encore aujourd’hui. Son ancien diamètre ne contenait que l’espace qui va du Vieux-Pont à S.-Laurent.

Les guerres au-dehors et la paix au-dedans avaient, en quelque sorte, éteint dans cette ville les factions guelfes et gibelines ; il n’y restait plus que cette espèce de fermentation qui semble exister naturellement dans tous les états, entre les grands et le peuple. Celui-ci voulant être gouverné par les lois. et les autres se mettre au-dessus, il est impossible que l’accord règne entre eux. Ce ferment de discorde n’éclata point, tant que l’on craignit les Gibelins ; mais lorsqu’ils furent abattus, elle se manifesta dans toute sa force. Chaque jour quelqu’un du peuple était insulté. Les magistrats et les lois ne pouvaient venger ces injures, parce que chaque noble, soutenu par ses parents et ses amis, se défendait contre le pouvoir des prieurs et du capitaine. Animés du désir de mettre un terme à ces abus, les chefs des corps de métiers arrêteront que chaque Seigneurie, en entrant en charge, nommerait un gonfalonier (ou officier) de justice, choisi parmi le peuple, qui aurait à ses ordres un corps de mille hommes, enrôlés sous vingt bannières, avec lequel il serait prêt à protéger l’exécution des lois toutes les fois qu’il en serait requis par elle ou par le capitaine. Ubaldo Ruffoli le premier élu, déploya l’étendard contre la maison des Galletti qu’il détruisit, parce que l’un d’eux avait tué en France un homme du peuple. Les dissensions violentes et continuelles des nobles, les uns contre les autres, rendirent aux chefs des corps de métiers cette magistrature facile à établir. Les nobles ne firent attention à ce pouvoir dirigé contre eux que lorsqu’ils virent ce premier exemple de son effrayante sévérité. Ils en furent d’abord intimidés ; mais ils reprirent bientôt leur insolence, parce qu’ayant toujours quelqu’un des leurs parmi les membres de la Seigneurie, ils venaient aisément à bout d’empêcher le gonfalonier de remplir son devoir. De plus, l’offensé ayant besoin de témoins