Page:Oeuvres complètes de N. Macchiavelli, avec une notice biographique par J. A. C. Buchon.djvu/99

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dont le son se faisait entendre sans interruption pendant un mois avant que leurs armées sortissent de la ville. Leur but était d’avertir l’ennemi de se préparer à la défense. Telles étaient alors la magnanimité et la grandeur d’âme de ces hommes, qu’ils regardaient comme trompeur et digne de blâme, celui qui surprenait son ennemi à l’improviste, tandis qu’on loue aujourd’hui une pareille action comme un trait de courage et de prudence ! Ils conduisaient aussi cette cloche à l’armée, et s’en servaient pour donner l’ordre de monter les gardes et de faire les services usités en temps de guerre. Ce fut par ces institutions civiles et militaires que les Florentins fondèrent leur liberté. Il serait difficile d’imaginer à quel degré de force et d’autorité Florence parvint en peu de temps. Non-seulement elle domina dans la Toscane, mais elle fut placée au rang des premières villes de l’Italie. Elle serait arrivée au comble de la gloire, si elle n’eût été déchirée par des factions toujours renaissantes. Les Florentins vécurent sous ce gouvernement pendant dix ans, et forcèrent dans ce laps de temps les villes de Pistoia, d’Arezzo et de Sienne à se liguer avec eux. En revenant de Sienne avec leur armée, ils prirent Volterra, détruisirent quelques forteresses et en ramenèrent les habitants à Florence. Ces entreprises se firent toutes par le conseil des Guelfes dont le crédit l’emportait de beaucoup sur celui des Gibelins, soit parce que la conduite hautaine de ces derniers pendant leur gouvernement sous Frédéric, les avait rendus odieux au peuple, soit parce que le parti du saint-siège était plus aimé que celui de l’empire. Les Florentins espéraient, du secours de l’église la conservation de leur liberté qu’ils craignaient de perdre sous la domination de l’empereur. Les Gibelins, se voyant sans autorité, ne pouvaient rester tranquilles, et n’attendaient que l’occasion de ressaisir les rênes du gouvernement. Ils crurent l’avoir trouvée, lorsqu’ils virent Manfredi, fils de Frédéric, devenu maître du royaume de Naples, après avoir beaucoup abaissé la puissance de l’Église. Afin d’arriver à leur but, ils nouèrent avec ce prince des intrigues secrètes, mais qu’ils ne purent cependant dérober à la sagacité des Anciens. Ce conseil cita les Uberti qui, au lieu d’obéir, prirent les armes, et se fortifièrent dans leurs maisons. Le peuple indigné s’arma, et, secondé par les Guelfes, il força ces rebelles à quitter Florence et à se réfugier à Sienne avec tous les Gibelins ; là, cette faction implora le secours de Manfredi, roi de Naples. Les troupes de ce prince, dirigées par Farinata, de la famille des Uberti, livrèrent bataille aux Guelfes sur la rivière d’Arbia, et en tirent un tel carnage que ceux qui purent échapper à cette déroute se réfugièrent à Lucques, et non à Florence dont ils croyaient la perte certaine. Manfredi avait envoyé. aux Gibelins le comte Jordano pour commander leurs troupes. Ce général, qui jouissait en ce temps d’une assez grande réputation dans le métier des armes, se rendit à Florence avec les Gibelins, après cette victoire. Il soumit cette ville à Manfredi, cassa les magistrats et détruisit toutes les institutions qui portaient quelque empreinte de liberté. Ces outrageantes innovations faites avec peu de prudence, excitèrent l’indignation générale, et portèrent au plus haut degré la haine du peuple contre les Gibelins, ce qui entraîna avec le temps leur ruine entière. Le comte Jordano, obligé de retourner à Naples. laissa le comte Guido Novello, seigneur de Casentino dans Florence, comme vicaire au nom du roi. Novello réunit les Gibelins à Empoli : chacun fut d’avis dans cette assemblée, que, pour maintenir la puissance des Gibelins en Toscane, il fallait détruire Florence qui n’était propre, à cause de l’attachement du peuple au parti des Guelfes, qu’à relever l’autorité de l’église. Il ne se trouva ni citoyen, ni ami qui s’opposât à cette cruelle résolution prise contre une ville si distinguée, à l’exception du seul Farinata de la famille des Uberti, qui osa prendre ouvertement sa défense, et qui, sans égard pour l’avis contraire, déclara : « qu’il n’avait essuyé tant de fatigues et bravé s tant de dangers, qu’afin de pouvoir habiter dans sa patrie ; qu’il n’entendait point en ce moment renoncer à l’objet de ses désirs, ni rejeter les présens de la fortune ; qu’il serait au contraire l’ennemi non moins déclaré de ceux qui formeraient de pareils projets, qu’il l’avait été des Guelfes eux-mêmes ; que si quelqu’un d’entre