Page:Oeuvres de Saint Bernard, Tome 3, 1870.djvu/28

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vère discipline et sans l’avoir soumise à l’esprit, avant d’avoir répudié et secoué le lourd fardeau des pompes du monde, n’apporterait à cette élude qu’un cœur impur. Si la lumière brille inutilement devant des yeux aveugles ou fermés, l’homme animal n’entend punit les choses qui émanent de l’esprit de Dieu[1], car l’Esprit-Saint fuit la feinte discipline[2], qui est la vie charnelle ; et il n’aura non plus jamais rien de commun avec la vanité du monde, puisqu’il est l’esprit de vérité[3]. Quelle société peut-il exister entre-la sagesse d’en haut et la sagesse du monde qui est une folie devant Dieu[4], ou la sagesse de la chair, qui est ennemie de Dieu[5] ? Or, je pense que l’ami qui nous arrive de voyage n’aura pas sujet de murmurer contre nous, quand lui aussi aura pris ce troisième pain.

4. Mais qui le rompra ? Voici le père de famille : reconnaissez le Seigneur à la fraction du pain ; quel autre peut le rompre mieux que lui ? Pour moi, je n’aurai pas la témérité de m’en croire capable. Considérez donc que vous n’avez rien à attendre de moi puisque j’attends avec vous ; je mendie moi-même comme vous la nourriture de mon âme, l’aliment de l’esprit. Pauvre et indigent je frappe à la porte de Celui qui ouvre, et personne ne ferme ; je frappe pour entendre le profond mystère de ce livre. Seigneur, tous les yeux sont tournes vers vous. Les petits enfants ont demandé du pain, et il n’est personne qui le leur rompe. Ils attendent ce service de votre bonté. Père compatissant, rompez ce pain à ceux qui ont faim, rompez le par mes mains ; mais rompez-le par votre puissance.

5. Dites-nous, je vous prie, par qui, de qui, et en faveur de qui il est dit : Qu’il me donne un baiser de sa bouche[6] ? Que signifient ces paroles par lesquelles ce livre commence d’une manière si soudaine et si surprenante ? Ce brusque début semble, en effet, supposer un interlocuteur à qui vient répondre la personne qui sollicite ici un baiser. Puis, après avoir demandé ou prescrit à je ne sais qui cette marque d’amitié, pourquoi l’auteur parle-t-il d’un baiser de bouche, et même de sa bouche, comme si en pareille occasion on présentait autre chose que sa bouche et sa propre bouche ? Et même on ne se borne pas à dire : Qu’il me baise de sa bouche, mais, ce qui n’est guère en usage : Qu’il me baise d’un baiser de sa bouche. Doux et agréable discours qui commence par un baiser ; aimable caractère de la sainte Écriture et qui engage à la lire : on travaille avec plaisir à scruter les mystères qu’elle renferme ; la difficulté d’en saisir le sens ne fatigue plus, elle a tant de charme en son langage ! Mais qui ne serait attentif à ce commencement et à cette nouveauté de langage dans un livre aussi ancien ? Évidemment, ce n’est point ici une invention de l’esprit humain, mais l’œuvre du Saint-Esprit ; et, s’il est difficile de comprendre, l’étude toutefois est délicieuse.

6. Passerons-nous le titre de l’ouvrage ? Non, il ne faut pas négliger un iota[7] : il nous est ordonné de recueillir jusqu’aux moindres miettes, de peur qu’elles ne se perdent[8]. Voici donc le titre : Commencement du Cantique des cantiques de Salomon. Observez d’abord que le nom de Pacifique (c’est Salomon) convient bien à ce livre, qui commence par le signe de la paix, c’est-à-dire par un baiser ; remarquez en même temps que ce même début indique qu’il n’y a d’appelé à l’intelligence de ce livre que les âmes pacifiques, celles qui savent se soustraire au bruit des passions et au tumulte du monde.

7. Ce n’est pas inutilement non plus que ce livre porte le titre de Cantique des cantiques, au lieu du simple litre de Cantiques. J’ai lu plusieurs cantiques dans la sainte Écriture et je ne me souviens pas qu’aucun d’eux porte ce nom. Israël a chanté un cantique au Seigneur en reconnaissance de ce qu’il avait échappé au glaive et à la servitude de Pharaon, et de ce qu’il a été miraculeusement délivré et sauvé des flots de la mer deux fois obéissante. Cependant, ce cantique n’est point appelé Cantique des cantiques. Mais, si j’ai bonne mémoire, l’Écriture dit : Israël a chanté ce cantique au Seigneur[9]. Débora a aussi chanté [10] ; Judith a chanté[11] ; la mère de Samuel a chanté[12] ; des Prophètes aussi ont chanté, et on ne lit pas qu’aucun d’eux ait nommé son chant Cantique des cantiques. Il est aisé de voir qu’ils ont été inspirés par un bienfait accordé soit à eux, soit à ceux qu’ils aimaient ; comme une victoire remportée, la délivrance d’un danger, ou l’accomplissement d’un vœu ardent. Ainsi la plupart ont chanté pour une raison particulière, pour confesser les bienfaits du Seigneur, selon ces paroles : Il vous louera longue vous lui aurez fait du bien[13]. Mais Salomon, ce roi si sage, si glorieux, environné de tant de richesses, jouissant d’une paix si profonde, n’a manque d’aucune ferveur

  1. 1 Cor., II, 14.
  2. 2 Sag., 1, 5.
  3. Jean XIV, 17.
  4. 2 Cor., II, 19
  5. Rom, VIII, 7.
  6. Cant., I, 1.
  7. Math. V, 18.
  8. Jean, VI, 12.
  9. Exod., XV, 1.
  10. Juges, V, 1.
  11. Judith, XVI, 1.
  12. I Rois, II, 1.
  13. Ps. XLVIII, 19