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MARMION

Destiné à de si hautes entreprises, il reçut, pour le bonheur de l’Angleterre, une sagesse précoce. Hélas ! le ciel, en punition de nos crimes, lui réservait une tombe non moins prématurée. Honneur à ce citoyen vertueux qui, au faîte, des grandeurs, dédaigna l’orgueil du pouvoir, méprisa les honteuses séductions de l’avarice, et servit son Albion pour elle-même. Une troupe égarée eût voulu briser le frein salutaire de l’obéissance ; mais il parvint à dompter son rebelle courage : modérant cet orgueil qu’il n’eût point voulu étouffer dans son âme, il montra à son impétueuse ardeur une plus noble cause à défendre, et fit servir le bras de l’homme libre à protéger les lois sur lesquelles repose sa liberté.

Ah ! il nous aurait suffi que tu vécusses, quoique privé du pouvoir : tel qu’une sentinelle vigilante sur la tour d’une forteresse, tu aurais réveillé l’Angleterre quand l’intrigue ou le danger la menaçaient : semblable à la lumière d’un phare, tu aurais éclairé la route de nos pilotes ; et, comme une colonne superbe qui, seule, est restée debout au milieu des ruines, tu aurais été l’appui du trône chancelant. Maintenant il est brisé ce soutien si nécessaire, il s’est éteint ce phare protecteur ; elle est muette sur la colline la sentinelle dont la voix eût sauvé l’Angleterre.

Rappelez-vous ce courage qui ne l’a jamais abandonné jusqu’à sa dernière heure. La mort déjà planait sur sa couche et réclamait sa proie ; tel que l’infortuné Palinure, il resta ferme au poste dangereux qui lui était assigné ; repoussant les conseils qui l’invitaient au repos, il tenait encore le gouvernail d’une main mourante, jusqu’à ce qu’enfin, privé de son pilote, le vaisseau de l’Etat faillit faire naufrage. Tant que dans les mille plaines de la Grande-Bretagne il restera une seule église non profanée, dont la cloche paisible, invitant aux jours de fête l’habitant des campagnes à venir prier et louer le Seigneur, n’aura jamais fait retentir le son sinistre du tocsin ; tant que la bonne foi et la paix des États vous seront chères, arrosez d’une larme cette pierre insensible : celui qui les a conservées, Pittrepose ici.

Ne craignez pas de donner un libre cours à vos généreux soupirs, parce que son rival est déposé près de lui ; ne craignez pas de prononcer ces mots : — Paix à sa cendre ! — de peur qu’ils ne retentissent sur la tombe de Fox ; pleurez ces talens ravis à l’Angleterre au moment où elle en avait le plus pressant besoin ;