Page:Oeuvres de Walter Scott,Tome I, trad Defauconpret, 1830.djvu/199

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
193
CHANT PREMIER

au-dessus de ses forces : — il te convient mieux, me dit-elle, d’errer çà et là, de passer les heures solitaires à arracher du marais le léger roseau, et à le suivre de l’œil, flottant sur la Tweed ; écoute à loisir la voix perçante de la laitière qui fredonne en se balançant pour marquer la cadence, et qui, couronnée de son fragile fardeau, glisse légèrement le long de la colline ; ou bien va, près de ce tombeau du fils de Fingal, entendre le conte du vieux berger : dans sa simplicité rustique, il s’interrompt souvent ; de peur que sa vieille légende ne fatigue l’oreille de celui qu’il croit avoir puisé dans les livres un goût plus raffiné.

Mais toi, cher ami, tu peux nous dire, mieux que personne (car qui mieux que toi connaît ces anciens romans ?) tu peux nous dire combien ces récits du vieux temps ont encore d’empire sur l’âme du poète. Vainement les siècles ont étendu leurs mains flétries sur les pages de l’ancien ménestrel, le récit des hauts faits de ces guerriers hérissés de fer fait encore battre le cœur d’un tendre intérêt, soit que le chevalier du lac entre dans le palais enchanté de Morgane, soit que, méprisant la magie et la conjuration des démons ; il pénètre dans la chapelle périlleuse, et y adresse la parole à un cadavre non enseveli. Tantôt, pour toucher le cœur de la dame Ganore (hélas ! pourquoi leur amour fut-il illégitime ?) ; il attaque l’orgueilleux Tarquin dans la caverne, et délivre soixante chevaliers ; ou bien enfin, pécheur non encore purifié par la pénitence, il entreprend la pieuse recherche de Saint-Gréal, et voit en songe une apparition qu’il n’aurait pu voir dans la veille.

Les maîtres de notre lyre ont aimé ces légendes ; on les retrouve encore dans les chants de féerie de Spencer. Ils se mêlent aux fictions célestes de Milton, et Dryden eût dans un ouvrage immortel relevé la table ronde ; mais un roi et une cour débauchés dédaignèrent les nobles inspirations du poète, préférant lui acheter à vil prix des satires, des chansons et des comédies licencieuses. Le monde fut privé de ce glorieux projet ; le feu sacré de la muse fut profané, et le génie avili.

Echauffés par le souvenir de ces noms sublimes, nous aussi, quoique enfans dégénérés d’une race déchue, nous irons tenter de rompre une faible lance dans tes beaux domaines, ô Génie