Page:Oeuvres de Walter Scott,Tome I, trad Defauconpret, 1830.djvu/9

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
5
GLENFILAS

La dernière preuve que le ciel m’envoya de sa colère, ce fut ce pouvoir de pressentir les malheurs futurs, qui éteint en mon cœur toute lueur d’espérance par des visions lugubres et des sons de douleur.

Te souvient-il de cet esquif qui partait gaiement cet été de la baie d’Oban ?… Je le voyais déjà échoué et brisé contre les côtes rocailleuses de Colonsay.

Fergus aussi….. le fils de ta sœur… tu l’as vu partir comme en triomphe des flancs escarpés du Bemmore, marchant à la tête des siens contre le seigneur de Downe.

Tu n’as vu que les plis flottans de leurs tartans pendant qu’ils descendaient les hauteurs de Benvoirlich ; tu n’as entendu que le pibroch[1] guerrier mêlé au choc des boucliers sonores des Highlands.

Moi j’entendais déjà les gémissemens, je voyais couler les larmes, et Fergus percé d’une blessure mortelle, en se précipitant sur les lances des Saxons à la tête de son clan au choc irrésistible.

Et toi qui m’invites au bonheur et au plaisir ; toi qui voudrais me faire partager ta joie et appeler le baiser d’une femme, mon cœur, cher Ronald, gémit sur ta destinée.

Je vois la sueur de la mort glacer ton front ; j’entends les cris de ton Esprit protecteur ; je vois ton cadavre… c’est tout ce qu’il est donné au prophète de voir.

— Prophète de malheur, livre-toi seul à tes rêveries funèbres, répond lord Ronald : faut-il donc fermer les yeux aux clartés passagères de la joie parce que l’orage peut gronder demain !

Vraies ou fausses, tes prédictions n’inspireront jamais la crainte au chef de Clangillian ; les transports de l’amour feront bondir son cœur, quoiqu’il soit condamné à sentir l’atteinte de la lance saxonne.

Tu crois entendre les brodequins de Mary fouler la rosée du gazon : elle m’appelle dans le bois.

  1. Airs nationaux et guerriers adaptés à la cornemuse (hagpipe) des Highlands. — Ed.