Page:Ohnet - L’Âme de Pierre, Ollendorff, 1890.djvu/157

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très inquiet, et à la veille d’être jaloux, elle se plut, malicieusement, à le tenir en suspens, à lui laisser tout craindre, tout espérer, et tout obtenir. Elle amena ainsi sa passion au plus haut point d’intensité. Elle le fit souffrir avec une joie raffinée ; sachant le dédommager de ses soucis par des plaisirs qui lui semblaient ainsi plus vifs.

Taciturne quand il n’était pas auprès de Clémence, Jacques inquiéta sa mère par la torpeur énervée de son attitude. Il passait des heures, étendu sur le divan de son fumoir, les yeux fixés au plafond, fumant des cigarettes opiacées, qui engourdissaient son cerveau, sans bouger, sans parler, comme perdu dans un rêve né du haschich. Sa santé demeurait bonne, cependant une pâleur remplaçait, sur ses joues, les fraîches couleurs qu’il avait rapportées du Midi. Il maigrissait. Mais ses nerfs le soutenaient vigoureusement, et il passait les nuits, avec un entrain extraordinaire, comme si ses inerties et ses mutismes lui servaient à économiser sa force pour le plaisir.

Il retournait au cercle, vers cinq heures, tous les jours, et, à minuit, quand il ne restait pas chez Clémence. Il jouait beaucoup, et eut, au début, une chance extraordinaire. La chouette à l’écarté lui rapportait de grosses sommes. Il faisait des gains de cinq cents louis, très joliment, avant dîner, et cet argent du jeu, si facile à dépenser, il le laissait couler de ses mains avec une superbe indifférence. Il se donna le plaisir de subvenir au luxe de Clémence. Une sourde jalousie le travaillait, et il voulait être, chez la belle fille, un maître incontesté. Il n’en acquit pas plus de droits, au contraire. Et, trois mois après être revenu de Nice, il entretenait la femme réputée la plus chère de Paris. Il n’avait pas su se contenter de la combler de ces cadeaux princiers, qui font la fortune des bijoutiers, et qu’il apportait à sa maîtresse,