Page:Ohnet - L’Âme de Pierre, Ollendorff, 1890.djvu/159

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avait entraînée jusqu’à la passion ; mais Jacques obéissant à toutes ses fantaisies, et surtout, déchéance impardonnable, l’entretenant, comme n’importe quel millionnaire, était à la veille de l’ennuyer. Du moment qu’il n’était plus le fruit défendu, il cessait d’être tentant. En cela la comédienne n’était pas plus perverse que la généralité des femmes. Et toute la responsabilité, de ce qui devait arriver, incombait à Jacques. Il avait modifié, de lui-même, les conditions de son intimité avec Clémence. Il avait méconnu cet axiome fondamental de la philosophie galante : L’amour d’une femme est en raison directe des sacrifices qu’elle s’impose pour le satisfaire. Ne la tenant plus à la chaîne par son caprice, il était tout près d’être trompé par elle. Pour Clémence, le délai, entre la désaffection et la trahison, pouvait être nul. Mais parce qu’elle le chassait de son coeur elle ne devait pas rendre à Jacques sa liberté. Il n’était pas dans sa nature de se montrer si généreuse, et, à Paris, il n’existait pas une tourmenteuse d’hommes plus implacable que cette femme lorsqu’elle n’aimait plus. Elle avait gardé Laurier plus d’un an après qu’il avait cessé de lui plaire, et c’était pendant cette infernale période que l’artiste, torturé, dégradé, avait songé à s’évader de cette vie, dont Clémence lui avait fait un bagne.

Jacques ne s’apercevait encore de rien. La belle fille, savante à tromper les hommes, le charmait par la même grâce du sourire, la même douceur des paroles, la même langueur des caresses. Déjà son plaisir était frelaté, et la fraude était tellement habile qu’il y trouvait une aussi délicieuse ivresse.

Il n’allait plus que très peu chez sa mère. La tristesse y était trop grande : il s’écartait. Sa soeur, sans que des symptômes caractéristiques de la maladie qui la minait se fussent