Page:Ohnet - L’Âme de Pierre, Ollendorff, 1890.djvu/215

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La porte était ouverte, il traversa le vestibule, entra dans le salon, et, debout devant la cheminée à côté de sa mère, il aperçut Juliette. Il s’arrêta immobile, les jambes tremblantes, le regard vacillant.

Elle lui parut plus grande qu’autrefois, peut-être était-ce parce qu’elle était plus mince et plus pâle. Ses mains blanches se détachaient, effilées et encore souffrantes, sur le noir de sa robe. Ses yeux, cernés par les pleurs, brillaient lumineux et doux. Elle souriait et regardait Pierre, comme Pierre la regardait. Elle le trouvait mieux que jamais, avec son visage hâlé et sa barbe qu’il avait laissée pousser. Elle découvrait, sur son front, les traces de son chagrin et elle éprouvait une joie secrète, revanche de ses douleurs. Son sourire, soudain, se trempa de larmes, et brusquement, portant son mouchoir à ses lèvres, elle se laissa tomber sur un fauteuil et éclata en sanglots.

Pierre poussa un cri, et, rompant enfin son immobilité, il s’élança vers elle, se jeta à ses genoux, la priant, la suppliant de lui pardonner. Mme de Vignes, inquiète, s’était approchée de sa fille ; mais Davidoff la rassura d’un coup d’oeil. Alors la mère et le médecin, voyant que les deux jeunes gens avaient oublié tout ce qui n’était pas leurs souvenirs et leurs espérances, les abandonnèrent librement à la douceur de leur première joie.

Quand ils revinrent troubler le tête-à-tête, ils trouvèrent Pierre et la jeune fille, assis l’un près de l’autre, la main dans la main. C’était Juliette qui parlait, racontant son chagrin et son désespoir. Elle souriait, maintenant, en rappelant toutes ses souffrances, et c’était Laurier qui pleurait.

— Mes amis, dit Davidoff, nous avons tenu les engagements que nous avions pris envers vous : vous êtes heureux. C’est fort bien, mais n’abusons point des meilleures choses.