Page:Ohnet - L’Âme de Pierre, Ollendorff, 1890.djvu/225

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peints de fleurs étranges et d’oiseaux fantastiques, donnaient sur une terrasse, au centre de laquelle un monumental perron descendait vers la pelouse bordée de plates-bandes. Ces trois baies, ce matin-là ouvertes, laissaient entrer à flot l’air et la lumière. Le gazon du jardin était d’un vert d’émeraude, le sable des allées, blanc sous le soleil, réverbérait la chaleur. Le ciel bleu, au lointain, se glaçait de violet. Tout était silence, ardeur et joie. Les hôtes de Clémence, inconsciemment pénétrés par ce bien-être délicieux, cédèrent à l’allégresse qui émanait des choses. Les têtes s’échauffèrent, les nerfs se tendirent et la gaieté commença à tourner au bruit.

Au milieu du tumulte des plaisanteries, Jacques seul restait grave, comme si un remords secret le tourmentait. Il pensait, délivré pour un temps de ses besoins d’argent, à ceux qu’il avait si durement tourmentés, pour se procurer les ressources suprêmes. Parmi ses convives animés et moqueurs, entouré de femmes belles et séduisantes, les idées les plus tristes s’emparaient de lui. Il jeta un regard sur la table éclatante, chargée de fleurs, d’argenterie et de cristaux, il examina ceux qui y avaient pris place. Il les vit insouciants et heureux. Lui seul était dévoré par la secrète amertume de la vie mal menée. Tous les autres étaient libres d’esprit et de coeur, il entendait leurs propos et leurs rires. Chaque jour, c’était ainsi pour eux : même fête, même contentement. Chaque jour, c’était ainsi pour lui, également : même torture, même angoisse qu’il ne pouvait calmer.

Ses yeux s’attachèrent sur Clémence et Faucigny qui causaient à voix basse, en face de lui. Il ne distinguait pas leurs paroles, mais il en devinait le sens. Le duc, câlin et insinuant, faisait la cour à la belle fille, et elle l’écoutait avec un