Page:Ohnet - L’Âme de Pierre, Ollendorff, 1890.djvu/232

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De tous ses amis, levés en tumulte, et groupés autour d’elle, Clémence la première retrouva son sang-froid :

— Que prétendez-vous faire ? demanda-t-elle à Davidoff.

— Emmener M. de Vignes, dit le Russe.

Pierre avança d’un pas, et se plaçant en face de Clémence :

— Est-ce que vous songez à vous y opposer ? demanda-t-il froidement.

La belle fille essaya de payer d’audace, elle leva les yeux sur celui qui l’interrogeait. Elle le vit calme, la bouche dédaigneuse et le regard attristé. Il était redevenu le Pierre Laurier des premiers temps de leurs amours, avec son front fier et inspiré, sa mâle tournure, et une mélancolique douceur dans la voix, qui remua Clémence jusqu’au fond de son être. Elle aurait voulu être insolente, mais une humilité soudaine lui amollissait le coeur. Elle adressa au jeune homme un sourire craintif, et s’approchant de lui :

— Partir ainsi, est-ce prudent ? dit-elle. Suivez-moi, je vais vous conduire où vous pourrez le soigner en toute tranquillité.

— C’est inutile ! répondit Pierre. Ni lui, ni nous, ne resterons ici un seul instant de plus.

— Pourquoi ? dit Clémence, sommes-nous donc ennemis ?

D’un geste, Laurier montra Jacques, haletant péniblement dans les bras de Davidoff, et sans colère, mais avec une invincible fermeté :

— Je vous ai pardonné le mal que vous m’avez fait à moi. Je ne vous pardonnerai jamais le mal que vous lui avez fait à lui. Adieu.

Davidoff et Pierre enlevèrent Jacques toujours évanoui, et, comme un enfant, l’emportèrent à travers le jardin, jusqu’à la voiture qui les attendait.