Page:Ohnet - L’Âme de Pierre, Ollendorff, 1890.djvu/35

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Il était délivré de la goule qui avait desséché son cerveau, en même temps qu’elle torturait son coeur. Il redevenait lui-même, et il allait prouver, par des oeuvres, qu’il n’était pas fini, comme on commençait à le dire.

— Oui ! oui ! elle verra ce que je vais faire, maintenant que je suis débarrassé d’elle. Avant un mois, elle me regrettera, sinon par amour, au moins par vanité !

Il marchait, en roulant ces pensées dans sa tête, sur la route de Vintimille, et longeait la mer. Il avait fait, sans s’en apercevoir et emporté par son agitation, beaucoup de chemin. Les lumières de Monaco s’étaient perdues dans la nuit, et il était seul, au bas d’une falaise à pic. À ses pieds, s’étendait la plage, sur les rochers de laquelle les flots se brisaient avec un bruit monotone. Quelques nuages, courant au large, cachaient, par moments, la lune, et tout devenait sombre. Pierre s’assit sur une butte de sable, au revers du chemin, et, dans le calme profond qui l’entourait, il songea.

Sa colère était tombée, et il jugeait nettement sa position. Il avait pris des résolutions excellentes pour l’avenir, mais aurai t-il l’énergie de les exécuter ? Il savait à quoi s’en tenir par sa faiblesse. Dix fois déjà, il avait juré de ne pas revoir celle qui bouleversait sa vie, et, toujours, il était revenu plus lâche et, naturellement, plus maltraité, mais supportant tout pour obtenir une caresse. Étrange folie, qui, le réduisant à cet esclavage d’amour, lui laissait assez de lucidité pour juger celle qui le subjuguait, et pas assez de courage pour se soustraire à sa malsaine domination.

Il se dit : Après avoir si furieusement déclaré que je ne retournerais point chez elle, est-ce que demain je serais assez lâche pour m’y présenter ? À voix haute, dans le silence nocturne, il répondit : Non ! Mais, comme pour le braver, la petite tête brune de Clémence, avec ses