Page:Ohnet - L’Âme de Pierre, Ollendorff, 1890.djvu/52

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— Est-ce qu’il n’est pas à Paris ? demanda-t-elle.

— Si, répondit Jacques, mais il ne quitte presque point son atelier. Il est dans une fièvre de travail.

La jeune fille respira. Le travail était une concurrence qu’elle ne craignait pas. Elle continua :

— Et que fait-il ?

— Un portrait.

À ces mots, négligemment dits par son frère, Juliette tressaillit. Il lui sembla y discerner une vibration menaçante. Ce portrait ne pouvait pas être un portrait ordinaire. Et cette oeuvre, à laquelle Pierre s’était voué ainsi avec passion, devait avoir une influence sur leur destinée à tous. Elle vit tout obscur autour d’elle, comme si le soleil s’était caché. Et des pressentiments douloureux lui serrèrent le cour. Elle reprit :

— Et ce portrait est celui de quelqu’un de connu ?

— Oh ! de très connu !

— Qui est-ce donc ?

— Une femme de théâtre.

— Qui se nomme ?

Jacques se mit à rire, et, regardant sa soeur avec surprise :

— Mais tu es vraiment bien curieuse ce soir. Je te demande un peu ce que cela peut te faire de savoir que l’original du portrait de Pierre s’appelle Mlle Chose ou Mlle Machin ?

— Cela m’intéresse.

— Eh bien ! la dame du portrait est Mlle Clémence Villa. Elle est petite, brune, a des yeux noirs, de très belles dents, une exécrable réputation, et fort peu de talent. Malgré cela, ou à cause de cela, elle a beaucoup de succès. Veux-tu connaître son âge ? Vingt-quatre ans, ou environ. Sa patrie ? La belle Italie, pays du vermouth et de la mortadelle. Ses opinions ?