Page:Ohnet - L’Âme de Pierre, Ollendorff, 1890.djvu/77

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par la porte ouverte, elle venait d’apercevoir sa fille. La soulever dans ses bras fut, pour cette femme d’apparence chétive, l’affaire d’une seconde. Elle l’allongea sur un canapé, examina son visage, tâta son cour, constata qu’elle vivait, et, un peu rassurée, elle demanda à son fils :

— Qu’est-il arrivé ?

Davidoff s’était approché de la jeune fille, et, avec de l’eau fraîche, lui mouillait les tempes, Jacques ne tendit pas à sa mère le billet qui lui léguait, comme par un testament surhumain, l’âme de son ami, il prononça ces seuls mots :

— Pierre est mort !

On eût dit que, du fond de son douloureux sommeil, Juliette avait entendu. Elle fit un mouvement, ouvrit les yeux, reconnut ceux qui l’entouraient, et, avec la vie, retrouvant la souffrance, elle fondit en larmes.

Mme de Vignes et son fils échangèrent un regard. Jacques baissa la tête ; la mère alors, devinant le chaste secret du virginal amour de Juliette, poussa un douloureux soupir et se mit à pleurer avec elle.

Davidoff prit Jacques par le bras et l’entraîna au dehors.

Sur la terrasse, l’air était doux, le soleil chauffait les plantes qui embaumaient, lèvent léger réjouissait le coeur, la mer s’étalait, d’un bleu de turquoise, les grandes hirondelles rasaient les flots avec des cris joyeux. Il sembla an docteur que son malade n’était plus le même. Il marchait d’un pas délibéré et non traînant, son corps se redressait, ses yeux, l’instant d’avant, caves et éteints, brillaient vifs. Il ne parlait pas, mais, au gonflement de ses traits, on discernait qu’une soudaine exaltation bouillonnait en lui. Davidoff, avec une âpre ironie, le contempla métamorphosé déjà par l’espérance.