Page:Ohnet - L’Âme de Pierre, Ollendorff, 1890.djvu/84

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Pierre, à ces paroles, se rappela l’énorme masse noire qu’il avait vue se dresser sur la crête des lames, un instant avant de perdre connaissance. Il comprit que c’était la barque, soulevée par la houle, qui était retombée, de tout son poids, sur lui. Pendant qu’il réfléchissait, ses compagnons le dévêtissaient et le rhabillaient avec prestesse. Il se trouva enfin assis sur un rond de cordages, très étourdi, mais éprouvant un grand bien-être dans la laine moelleuse qui réchauffait ses membres endoloris.

— Qui est Agostino ? demanda-t-il, en se tournant vers les trois hommes qui le regardaient avec un air de satisfaction.

— Agostino, reprit le Provençal, est le camarade que vous avez ramené à la nage sous le feu des douaniers…

— Et qui êtes-vous, vous-mêmes ? demanda Pierre avec une brusque autorité.

Les marins se concertèrent hésitants. L’un d’eux dit, en mauvais italien, d’une voix gutturale :

— Nous n’avons pas besoin de nous défier de lui. Que peut-il d’ailleurs contre nous ?

— Rien du tout, interrompit Pierre avec tranquillité. Et, d’ailleurs, pourrais-je vous nuire, que je n’aurais certainement pas le goût de le faire.

— Ah ! vous avez compris ? s’écria le Provençal en riant.

— À peu près. Mais il me semble que c’est un patois que parlent vos camarades.

— Oui, c’est le dialecte sarde… Nous sommes de pauvres marins, qui tâchons de passer en franchise, et à nos risques et périls, les marchandises que nous confient des négociants de Livourne et de Gênes.

— Contrebandiers, alors ?

— Mon Dieu ! oui. C’est ainsi que cela s’appelle… Nous étions