Page:Oldenberg - La Religion du Véda.djvu/35

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
3
L’INDE ANCIENNE ET LE RIG-VÉDA

Cette dégénérescence mentale, plus tard si rapide, se trahit déjà jusque dans le plus antique témoin de la littérature et de la religion de l’Inde : le Rig Véda, ce recueil de chants et de litanies dont les prêtres des Āryas védiques accompagnaient leurs sacrifices, célébrés à ciel ouvert, devant les jonchées de gazon et les foyers d’oblation où ils conviaient leurs dieux ; prêtres barbares de dieux barbares, que des chars attelés de chevaux amenaient à travers le ciel et l’espace, au festin de gâteau, de beurre et de viande, à l’ivresse du sōma qui leur infusait vigueur et vaillance.

Tout aperçu des sources où nous puisons la connaissance de la religion védique doit nécessairement débuter par une vue précise du caractère très particulier de la poésie que nous a conservée le Rig-Véda.

C’est sur les errements d’une antique tradition, c’est pour le grand et somptueux sacrifice où figure le complexe appareil des trois feux, pour le sacrifice de sōma tout particulièrement, que sont composés les hymnes de ce recueil. Les auteurs ne prétendent pas raconter la vie du dieu qu’ils fêtent, mais le glorifier. Ils n’ont point affaire d’auditeurs humains : l’auditeur, c’est, avant tout, le dieu lui-même qu’ils supplient d’agréer leur offrande. Ils le comblent donc de toutes les épithètes louangeuses dont dispose une faconde de lourde adulation mise au service d’une imagination portée à l’outrance. Rien ici qui ressemble au dieu suprême qui fait trembler les cimes de l’Olympe au clignement de ses yeux, au flottement de son ambrosienne chevelure sur sa tête immortelle ; mais une longue file de dieux, dont chacun à son tour, quand le chantre l’invoque, est très grand ou le plus grand de tous, étincelant, formidable, resplendissant de beauté, prodigue de ses dons pour l’homme pieux ; il anéantit tous les ennemis, réduit en poudre toutes leurs citadelles ; ses bras puissants ont étayé les extrémités de la terre et étendu au dessus d’elle la voûte des cieux. Partout des superlatifs, nulle part un concept formel et défini : c’est à peine si, dans le nimbe imprécis où flotte le monde divin, se laissent entrevoir, vagues et fuyants, les contours qui