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Page:Olivier - Un sauvetage, 1938.pdf/26

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UN SAUVETAGE

sa chambre. Maurice sortit et se dirigea vers le petit restaurant où José prenait d’habitude ses repas. Il le vit en sortir, le suivit, et, à bonne distance, appela :

— Auguste !

José eut un sursaut involontaire mais il ne se retourna pas. Valentin répéta un peu plus fort :

— Monsieur Auguste Lagrue !

José ne bougea pas davantage. Alors Maurice le rejoignit.

— Voyons, vous ne reconnaissez pas les amis ?

— Tiens, Monsieur Maurice ! s’écria José en feignant l’étonnement.

— Ah ! vous me reconnaissez, dit Maurice, mais moi aussi je vous reconnais, Monsieur Auguste Lagrue, malgré votre nom de José de Manaos.

— Monsieur, quelle est cette plaisanterie ?

— Mais ce n’est pas une plaisanterie, c’est un souvenir et pas très vieux encore ; rappelez-vous, il y a six ans à peine que je vous ai connu au Quartier Latin. J’y faisais mon droit, et vous, vous fréquentiez les tavernes, les basses tavernes ; je m’y trouvais aussi quelquefois, car je n’étais pas riche, aujourd’hui non plus, d’ailleurs. Tandis que vous, peste ! vous avez fait votre chemin, vous êtes chic… Je comprends que vous ayez laissé votre nom trop vulgaire d’Auguste Lagrue pour prendre celui bien plus ronflant de José de Manaos. Il est vrai que votre physique, votre teint basané, vous permettait cette appellation exotique ; il vous avait déjà valu un surnom, autrefois, mais moins brillant ; nous vous appelions simplement « jujube ».

— Monsieur, dit José, vous ai-je assez écouté ?

Encore une fois, cessez cette plaisanterie… à moins que vous ne soyez victime d’une ressemblance…

— Non. Quand on a connu Auguste Lagrue, dit « Jujube », on ne l’oublie pas, vous en voyez la preuve, et on ne le prend pas pour un autre, se ferait-il appeler José etc… Vous étiez si connu que lorsque vous faisiez quelques absences pour cause de villégiature du côté de Fresnes, tout le monde s’informait : « Où est donc Jujube ? »

D’un geste familier, Maurice avait passé son bras sous celui de José pour prononcer ces dernières phrases ; mais celui-ci sentait monter en lui une sourde colère contre ce gêneur.

Brusquement il se dégagea, fit un pas en arrière et serra les poings. Ils étaient dans un endroit écarté, à une heure