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Page:Opera Omnia nunc primum collecta, in classes distributa, praesationibus et indicibus exornata, studio Ludovici Dutens, Vol. I, 1768.djvu/284

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REMARQUES DE Mr. LEIBNIZ,

Sur le livre d’un Antitrinitaire Anglois, qui contient des considérationssur plusieurs explications de laTrinitét publié l’an 1693-4.

N’Ayant point vû ce que Messieurs Wallis, Sherlock, & le Dr. S-ht ont écrit sur la Trinité, & n’ayant pas présentement en main le Sistême intellectuel du feu Docteur Cudworth, où j’ai lû quelque chose autrefois, & que j’ai trouvé fait par un très habile homme, je ne veux pas entrer dans la discussion de leurs sentimens, & je parlerai, de la chose en elle-même.

Premièrement je demeure d’accord que le commandement du culte suprême d’un seul Dieu est le plus important de temps, et doit être considéré comme le plus inviolable. C’est pourquoi je ne crois pas qu’on doive admettre trois substances absolues, dont chacune soit infinie, toute— puissante, éternelle, souverainement parfaite. Il parait aussi que c’est une chose très dangereuse pour le moins de concevoir le Verbe et le Saint-Esprit comme deux substances intellectuelles inférieures au grand Dieu, et néanmoins dignes d’un culte qui approche du culte que les païens rendaient à leurs dieux, ou qui le surpasse plutôt. Ainsi je crois qu’on ne doit rendre des honneurs divins qu’à une seule substance individuelle, absolue, souveraine et infinie.

Cependant l’opinion Sabellienne, qui ne considère le Père, le Fils et le Saint-Esprit, que comme trois noms, comme trois regards d’un même être, ne saurait s’accorder avec les passages de la sainte Écriture, sans les violenter d’une étrange manière. Aussi faut-il avouer que de même les explications que les Sociniens donnent aux passages, sont très violentes. Quant à nous, lorsqu’on dit : Le Père est Dieu, le Fils est Dieu, et le Saint-Esprit est Dieu, et l’un de ces trois n’est pas l’autre, et avec tout cela, il n’y a pas trois dieux, mais un seul ; cela pourrait paraître une contradiction manifeste ; car c’est justement en cela que consiste la notion de la pluralité. Si A est C, et B est C, et si A n’est pas B, ni B n’est pas A, il faut dire qu’il y a deux C, c’est-à-dire : si Jean est homme et si Pierre est homme, et Jean n’est pas Pierre, et Pierre n’est pas Jean, il y aura deux hommes, ou bien il faut avouer que nous ne savons pas ce que c’est que deux. Ainsi, si dans le Symbole attribué à S. Athanase, ou il est dit que le Père est Dieu, que le Fils est Dieu, et que le Saint-Esprit est Dieu, et que cependant il n’y a qu’un Dieu, le mot