Page:Opere varie (Manzoni).djvu/295

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée


On peut aussi, on doit même assez souvent rejeter dans les entr'actes quelques faits relatifs à l'action, et en donner connaissance au spectateur par les récits des personnages; mais cela n'est nullement particulier au système de tragédie que je nomme historique: c'est une condition générale du poëme dramatique, également adoptée par le système des deux unités. Dans l'un comme dans l'autro, on présente à la -ue un certain nombre d'événemens, on en indique quelques autres, et l'en fait abstraction de tout ce qui, étant étranger à l'action, ne s'y trouve mêlé que par les circonstances fortuites de la contemporanéité. A cet égard, la différance entre les deux systèmes n’est que du plus au moins. Dans celui que je nomme historique, le poëte se fie pleinement à l'aptitude, à la tendance qu’a naturellement notre esprit à rapprocher des faits épars dans l'espace, dès qu'il peut apercevoir entre eux une raison qui les lie, et à traverser rapidement des temps et des lieux en quelque sorte vides pour lui, pour arriver des causes aux effets. Dans le système des deux unités, le poëte demande de même des concessions à l'imagination du spectateur, puisqu'il veut qu'elle donne à trois heures le cours fictif de vingt-quatre. Seulement il suppose qu'elle ne peut se prêter à rien de plus, et que, quelque rapport qu’il y ait entre deux faits, il lui en coûte un effort désagreable et pénible pour les concevoir à la suite l'un de l'autre, s'il y a de l’un à l'autre un intervall, de deux ou trois jours , et de plus d'une centaine de pas.

Cela posé, quel est maintenant celui des deux systèmes qui donne au poëte le plus de facilités pour démêler, dans un sujet dramatique, les élémens de l'action, pour les disposer à la place qui leur appartient, et les développer dans les proportions qui leur conviennent? C'est assurément celui qui, ne l'astreignant à aucune condition arbitraire et prise en dehors de ce sujet même, laisse à son génie le choix raisonné de toutes le données, de tous les moyens qu'il renferme. Que si, malgré ces avantages, le poëte ne sait point discerner les points saillans de son action, ni les mettre en évidence; s'il se borne à indiquer des événemens qui auraient besoin d’être développés; si ces événemens relégués dans les entr'actes, au lieu de former des anneaux qui entrent dans la chaine de l'action, ne tendent, au contraire, qu'à isoler ceux qui sont mis sous les yeux du spectateur, si, par leur importance ou par leur multiplicité, ils n'aboutissent qu'à produire une distraction importune de ce qui se passe sur la scène; si, en un mot, l’action est disloquée, la faute en est toute au poëte. Quelque graves qu'ils soient, de tels inconvéniens ne peuvent donc jamais être une raison d'adopter la règle en discussion, puisque l'en peut éviter ces inconvéniens sans se soumettre à cette règle: car je me borne, pour le moment, à prouver qu'elle est inutile.

Vous avez trouvé, Monsieur, dans la tragédie de Carmagnola la preuve de ces mauvais effets, que vous avez attribués au système qui exclut les deux unités; et je n'en parle ici que pour rendre justice à votre critique, et pour ne pas laisser tomber sur ce pauvre système le fardeau des erreurs personnelles de ses partisans. "On voit," dites-vous, "qu'il existe "entre le troisième et le quatrième acte l'intervalle d’une campagne tout entière: comment suivre à de telles distances la marche et les progrès de l'action?" J'accorde volontiers que c'est un véritable defaut; seulement faut-il voir à qui l'on doit l'imputer. C'est un peu au sujet, beaucoup à l'auteur; mais nullement au système.

Je passe à l'examen de la règle sous le rapport de la fixité des caractères, et je continue à citer "Ajoutez à ces inconvéniens l'apparition et la disparition fréquentes, dans ce système, de personnages avec lesquels le spectateur a à peine le temps de faire connaissance. "