un objet important; ce qui est tout-à-fait indépendant de la durée de ses suites.
Quant au changement de desseins dans les personnages, je ne vois pas comment son effet serait d'affaiblir l'intérêt. Il fournit au contraire un moyen de l'exciter, en donnant lieu de peindre les modifications de l’âme, et la puissance des choses extérieures sur la volonté. Il favorise le développment des caractères, sans obliger à les dénaturer, parce que les desseins ne sont pas le caractère même, mais plutôt des indices, des conséquences da caractère. Je ne vois pas davantage comment le changement dont il s'agit détruirait l'unité dramatique. Cette unité ne consiste pas dans la fixité des vues et des projets des personnages tragiques; elle est dans les idées du spectateur sur l'esemble de l'action. En voici une preuve de fait, qui me paraît sans réplique: les desseins de personnages importans, souvent principaux, varient dans des tragédies auxquelles assurément vous ne refuserez pas l'unité d'action; et pour n'en chercher d'exemples que dans un seul auteur, Pyrrhus, Néron, Titus, Bajazet, Agamemnon, passent d'une résolution à la résolution opposée. Leur caractère n'en est pas, pour cela, moins constant: il y a plus; ces variations sont nécessaires pour le mettre pleinement à découvert. Celui de Néron, par exemple, se compose d'un certain goût pour la justice et pour la gloire, d'une pudeur qui est le fruit de l'éducation, de l'habitude de céder aux volontés des personnes à qui une haute réputation de vertu, ou une grande force d'âme, les droits de la nature, ou des services signalè ont donné de l'ascendant: avec cela se combinent la haine de toute supériorité, un grande amour de l’indépendance, le goût de la domination, et la vanité même de paraître dominer. Une passion que Néron ne peut satisfaire sans commettre un crime vient mettre en collision ces élémens contraires, ces deux moitiés, pour ainsi dire, de son áme. Les mauvais penchans triomphent, le crime est résolu, il est commandé: l'admirable discours de Burrhus fait varier le projet de Néron; l'indigne Narcisse, précisément parce qu'il connaît le caractère de son maitre, sait trouver, dans ses passions les plus vives et les plus basses, que Burrhus avait en quelque façon étouffées, les motifs d'une nouvelle variation, qui produit le dénoument de l'action. Il en est de même d'Agamemnon; si ces desseins étaient invariablement arrêtés, son caractère ne serait plus ce qu'il est, un mélange d'ambition et de sentimens naturels.
Que la représentation d'un meurtre prémédité pendant plusieurs années, et en plusieurs pays différens, ne soit propre qu'à exciter le degoût, je suis fort disposé à le croire. Mais le dégoût dérive du sujet même, indépendamment du système suivant lequel on pourrait le traiter. Je crois, par exemple, que tout le monde à peu près s'accorde à trover l'Atrée de Crébillon un personnage révoltant, et néanmoins le poëte ne fait pas parcourir à son action le temps réel qui s'est écoulé entre le tort et la vengeance; il ne représente que la dernière journée: mais qu'importe? le temps est énoncé dans la pièce, et il n'en faut pas davantage pour motiver le dégoût de l'auditoire. L'idée de tant d'années qui n'ont pas calmé la haine, qui n'ont pas affaibli le souvenir de l'injure, qui n'ont rien changé à des projets d'une atrocité ingénieuse et romanesque, n'en est pas moins présenté à la pensée du spectateur, malgré l'abstraction que fait le poëte du temps écoulé; la préméditation du crime n’en est pas moins sentie.
La determination arrêtée et constante de tuer son semblable suppose nécessairement l’état de l’âme le plus dépravé, j’ajouterais, et le plus dégradé, le moins poétique. Si une telle détermination est en harmonie avec le caractère du personnage; si c'est un intérêt privé, un passion égoïste