Page:Opere varie (Manzoni).djvu/305

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par exemple, passe pour un chef-d’oeuvre de difficulté vaincue. Elle est fort belle, en effet; mais qu’est-ce qu’un système qui oblige d’admirer, dans un poëte tel que Racine, une exposition en action? Qu’est-ce qu’un système dans lequel il a fallu en venir a accorder au poëte tout le premier acte, pour préparer l’effet des quatre suivans, et dans lequel le spectateur n’a pas lieu de se plaindre si la partie dramatique du drame commence au second, quelquefois même au troisième acte?

Maintenant veut-on se faire une idée de tout ce qu’une telle méthode a de désavantageux pour l’art en général? Rien n’est plus facile: il n’y a, pour cela, qu’à considérer quelles beautés perdraient à être assujetties à cette règle des unités, des sujets largement et simplement conçus d’après le système contraire. Que l’on prenne les pièces historiques de Shakespeare, et de Goethe; que l’on voie ce qu’il en faudrait ôter à la représentation, ou remplacer par des récits, et que l’on décide si l’on ga-nerait au change! Mais, pour appliquer ici ces réflexions à un exemple particulier, je ne saurais mieux faire que de traduire un passage d’un écrit où cette application est on ne peut plus heureusement faite. Il s’agit d’un dialogue italien sur les deux unités, par mon ami. M. Hermès Visconti, qui, dans quelques essais de critique littéraire, a déjà donné au public la preuve d’une haute capacité, et qui promet d’illustrer l’Italie par les travaux philosophiques auxquels il s’est particulièrement voué. Il suppose, dans ce dialogue, qu’un partisan des règles, qui n’a pas cependant le courage de contester au sujet de Macbeth le mérite d’être admirablement tragique, propose les moyens de l’assujettir aux deux unités.

" Il fallait, " fait-il dire à cet interlocuteur, " choisir le moment le plus important et supposer le reste comme déja avenu. " Voici sa réponse. " Vous choisirez la catastrophe, vous représenterez Macbeth tourmenté par les remords du passé, et par la crainte de l’avenir; vous exciterez le zèle des défenseurs de la cause juste; vous mettrez en récit les crimes antécédens; vous peindrez lady Macbeth, simulant l’assurance et le calme, et dévoilant dans ses rèves le secret de sa conscience. Mais, de cette manière, aurez-vous tracé l’histoire de la passion de Macbeth et de sa femme? aurez-vous fait voir comment un homme se résout à commettre un grand crime? aurez-vous dépeint la férocité triste encore, bien que satisfaite, de l’ambition qui a surmonté le sentiment de la justice? Vous aurez, à la verité, choisi le plus beau moment, c’est-à-dire le dernier période des rémords; mais une grande partie des beautés du sujet aura disparu, parce que la beauté poétique de ce dernier période dépend beaucoup de ce qu’il arrive après les autres; elle dépend de la loi de continuité dans les sentimens de l’âme. Et, pour donner la connaissances de ce qui a précédé, ne serez-vous pas forcé de recourir aux expédiens des récits, des monologues destinés à informer le spectateur, qui comprend toujours, et fort bien, qu’ils ne sont destinés à autre chose qu’à l’informer? Au lieu de cela, dans la tragédie de Shakespeare, tout est en action, et tout de la manière la plus naturelle. "

Je passe au second inconvénient, de la règle, celui de forcer le poëte à entasser trop d’événemens dans l’espace, qu’elle lui accorde, et de blesser par là la vraisemblance. On ne manque pas, je le sais, lorsque cela arrive, de dire que la faute en est au poëte, qui n’a pas su vaincre les difficultés de son sujet et de son art. C’était à lui, prétend-on, à disposer avec habileté les événemens dont se composait son action, dans les limites préscrites.

À merveille! cependant combien de bonnes raisons ces pauvres auteurs de tragédies n’auraient-ils pas à donner à ces capricieux faiseurs de règles! Eh quoi! pourraient-ils leur dire, vous prétendez, vous souffrez du moins