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HENRI CORNÉLIS AGRIPPA

remplace à moi seul les Roffensis[1], les Érasme, les Vivès[2], les Eckius[3], les Cochlée[4], les Susgerus, les Faber, etc., en un mot tous les gens stipendiés pour combattre les hérétiques, athlètes autrement robustes que moi, autrement puissants, et que soutiennent encore d’innombrables auxiliaires. Pour moi, je suis si seul que, si je tombe, nul ne me relèvera. Et pourtant, par Hercule, il faut ici un homme solide, difficile à renverser, ne tournant pas au gré du vent, un homme qui puisse acheter au prix de son propre malheur l’infortune publique. Oui, comprenez-vous bien le péril du poste que vous me confiez ?

J’ai parcouru le livre que vous m’avez envoyé ; j’ai vu les décisions absurdes qu’ont entassées à l’envi cette foule d’Universités qui semblent avec un concert détestable s’être donné le mot. On espère ainsi envelopper d’un réseau inextricable de ténèbres la plus brillante des Reines, l’astre le plus brillant de la Patrie anglaise. Associant l’insouciance pour la Religion au mépris de cette haute Majesté, ils veulent, par ces controverses audacieuses, apporter leur torche à l’incendie qu’alluma la faute du Roi. Certes, je n’ignore pas quelles machinations on a employées auprès de la Sorbonne de Paris, ce corps qui a donné aux autres un funeste exemple et les incite ainsi à oser un si grand crime. Je puis à peine me retenir de crier : Dites-nous, Sorbonniens, quelle est la valeur de l’or en saine théologie ? Quelle parcelle de piété, de bonne foi, pensez-vous que contienne le cœur de ces gens-là dont la conscience est aussi hypocrite que vénale ? Ils ont livré au poids de l’or des décisions devant lesquelles la Chrétienté tout entière devrait s’incliner. Ils ont souillé, en écoutant les suggestions d’une avarice infâme, la sincérité, la sainteté de conclusions restées pures de toute intrigue à travers les siècles. Et ce qui est aussi honteux, c’est qu’on a vu acheter à beaux deniers comptants les suffrages de nos maîtres, quand l’équité seule devait les dicter. On a osé se rendre favorable par la corruption un arrêt devant lequel tout le monde doit se prosterner, obtenir pour de l’argent des voix que chacun devait donner d’après les seules inspirations de sa conscience. Et vous exigez que je me mette en lutte ouverte contre toute cette bande de courtisans, que je déploie l’étendard, que je combatte contre de telles gens ; personne, ajoutez-vous, ne peut, si vous le voulez bien, traiter plus heureusement ce sujet, comme si je ne m’étais pas déjà assez attiré de haine de la part des Théologiens et des Scholastiques par la publication antérieure de mon traité Sur la Vanité des Sciences, à tel point que, dans les Universités, dans les Cours, dans l’univers entier en un mot, j’ai beaucoup moins d’amis que d’ennemis. Grâce à ces derniers, l’Angleterre est pour

  1. Fisher (I.), théologien, évêque de Rochester, chancelier de l’Univ. de Cambridge (1455-1535), qui s’opposa courageusement au divorce d’Henri VIII, fut décapité en 1535.
  2. Vives (J.-F.), savant littér. de Valence en Espagne (1492-1540), fut professeur à Oxford et dut quitter l’Angleterre pour avoir blâmé le divorce royal.
  3. J. Eckius, chancelier de l’Université d’Ingolstad, adversaire de Luther (1486-1543).
  4. Cochlée (I.), théologien, fougueux antagoniste de Luther, à Nuremberg (1479-1552).