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HENRI CORNÉLIS AGRIPPA

réflexion sur le compte d’Érasme, que tous les gens érudits et sincères mettent, comme le Phénix, hors de pair ; quant aux autres, je le dis avec assurance, et je souhaite ne les froisser en rien en disant cela et rester en bons termes avec eux, assurément il n’en est aucun qu’on doive vous préférer, à mon avis. Permettez-moi de ne pas m’expliquer davantage à ce sujet. Et encore en y réfléchissant je ne suis pas bien sûr qu’Érasme, homme très paisible il est vrai, ne se sente pas atteint par ce que je dis. Je le dirai quand même. C’est un écrivain d’ailleurs harmonieux, cadencé et en quelque sorte inimitable, s’insinuant doucement, insensiblement dans la conviction. Je crains qu’il ne vous soit inférieur dans la manière de serrer l’argumentation ; or, dans l’affaire qui nous occupe, c’est cette qualité surtout que l’on doit rechercher. Si vous ne voulez pas vous reconnaître cette supériorité, car vous êtes d’une modestie vraiment surprenante, vous m’accorderez au moins qu’Érasme depuis longtemps a mis au service de la Reine son talent et ses bons offices, puisqu’il a édité un ouvrage détaillé et profond sur le mariage chrétien. Vivès[1], lui aussi, en écrivant la femme chrétienne, peut à juste titre paraître s’être acquitté de son devoir. Cochlée[2] enfin a écrit plusieurs pages sur le même sujet : je vous les enverrai un de ces jours, dès qu’elles seront transcrites. Il ne donne pas lieu, vous en conviendrez, à laisser désirer ses bons offices. Que dis-je ? faites que tous soient prêts à écrire, faites qu’ils aient déjà saisi leurs plumes, pour s’acquérir une gloire si éclatante. Horace n’a-t-il pas dit que la palme est au milieu de l’arène et que, par conséquent, tout le monde peut y prétendre Qu’elle appartienne donc à celui qui fera tous ses efforts pour la conquérir. S’agit-il d’autre chose, soyons polis, cédons le haut du pavé ; les premiers faisons des concessions aux autres mais ici, obéissant aux suggestions d’un orgueil honorable, généreux, faisons en sorte de remporter le prix ; ne le cédons pas d’un pouce à personne ; ne nous inclinons que devant la supériorité de l’intelligence, de son application et de ses efforts. La vertu est quelque chose d’instable elle veut progresser sans cesse un progrès est un encouragement vers un progrès plus grand ; s’arrêter c’est rétrograder ; c’est là la preuve la plus forte que la vertu nous vient du Ciel, il n’y a à pas à en douter. Et après cela, si cela fait plaisir aux Muses (de gaieté de cœur) lorsque vous avez tout ce qu’il faut pour réussir, lorsque vous êtes soutenu par tant d’avantages, vous céderiez à un autre la gloire d’une si haute entreprise, vous voudriez même l’admettre à la partager ? Déployez, je vous en prie, mon cher Agrippa, l’énergie si connue de votre esprit, les forces de votre intelligence ; étalez toutes vos richesses faites voir tout ce que vous valez. Une cause si pieuse rendrait éloquente la langue des enfants à la mamelle. L’ânesse de Balaam elle-même, animal d’ailleurs stupide, sut parler quand il s’agit de flétrir l’impiété d’un homme criminel.

C’est une tentative ingrate, dites-vous, pleine de dangers et de hasards, qu’un homme de bien, un simple particulier, ose même ouvrir la bouche

  1. J. Vivès, qui fut précepteur de Marie Tudor. Cf. note 4, p. 106 et texte.
  2. Voir note 4, p. 106.