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SA CORRESPONDANCE

êtres stupides, idiots si, au contraire, dans une affaire si importante, si sérieuse, ils ont écouté la voix de la corruption, de la courtisanerie, qu’y a-t-il de plus perfide que ces gens-là ? Qu’y a-t-il de plus imprudent, de plus déplorable ? Ils méritent d’autant mieux, savant Agrippa, qu’on étale à la grande lumière et leur trahison et leur ignorance. Dans la fable ne voit-on pas le soleil dévoiler l’adultère de Vénus et de Mars ? Il faut donc que, par vous, ils soient tournés en ridicule, consumés par tous les mortels. Je n’ai pu m’empêcher de rire bruyamment quand j’ai lu votre apostrophe ironique : « Dites, Sorbonniens en Théologie, quelle est l’importance de l’or ? — Aussi, me disais-je avec Virgile : « Soif déplorable des richesses, à quels crimes n’incites-tu pas le cœur des hommes ! » Je me demandais avec Philippe, roi de Macédoine : « Où ne pénétrerait pas un âne chargé d’or ? » Je puis, si vous le voulez, vous répondre pour eux. Avec de l’or, nous ferons que, si nous ne buvons pas plus outrageusement, nous boirons un vin plus généreux et plus théologiquement. Notre corps sera plus soigné, plus brillant de santé notre ventre, notre palais s’en trouveront mieux ; nous pourrons aller largement et moins parcimonieusement dans nos consommations. Devinez le reste.

Pour en finir à ce sujet, je veux caractériser par un seul mot ce que j’ai délayé dans tant de périphrases : Rien autre chose que de rire ne convient à nos Maîtres, et, pour me servir de l’expression d’Aristophane, « de lâcher un vent » comme réponse. Vous entreprendrez donc d’écrire. Que ce soit grâce à notre appui que vous puissiez le faire, ou que vous en receviez le mandat de l’Empereur et de la princesse Marie[1]. Il vaut mieux écrire sous leur égide et d’après leur impulsion que paraître l’avoir fait de votre propre mouvement. Je suis d’avis que, de cette façon, vous serez moins en butte aux traits de la haine, de la calomnie. En conséquence, sous peu de jours, la Reine écrira à l’Empereur ou à la princesse Marie, afin qu’appuyé par leur autorisation vous puissiez écrire plus librement ce qu’il vous plaira.

Mon cher Agrippa, si, dans cette affaire, vous déployez toute votre énergie, pour me rendre service en même temps qu’à la Reine[2], je me charge assurément de tout ce qui pourra en advenir, et je m’arrangerai de façon que vous n’ayez jamais à vous repentir d’avoir rendu ce grand service à une si grande Princesse, et bien que, de son naturel, elle soit pleine de générosité et n’ait pas besoin d’être éperonnée par moi, je ne cesserai d’agir. Vous, de votre côté, efforcez-vous de paraître dans ce combat le rude athlète que nous vous connaissons, conforme à la haute idée que nous nous sommes formée de votre talent ; il dépend uniquement de vous de vous montrer complètement digne et selon les vues de Dieu. Je terminerais ici ma lettre si je ne devais vous parler au sujet d’un regret que vous m’exprimez. Il vous semble que César[3] est un peu irrité contre vous, qu’il est plus froid que d’habitude, et que tout cela vient, comme vous le dites avec justesse, de votre vertu, de

  1. Marie, reine de Hongrie, gouvernante des Pays-Bas au nom de Charles-Quint.
  2. Catherine d’Aragon, tristement reléguée alors au château de Kensington.
  3. Charles Quint.