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HENRI CORNÉLIS AGRIPPA

Les cœurs vaillants ne sont point aussi encouragés, relevés par les combats heureux que par les défaites ; c’est le désespoir qui rallume leur courage. Jusqu’ici je n’ai combattu que comme soldat mercenaire ; dorénavant je combattrai comme soldat affranchi, dorénavant vous me verrez combattre avec plus d’ardeur, parler avec plus de verve. Soyez indulgent pour ma colère ; il n’est animal si débonnaire que la colère ne mette hors de lui. Croyez-le bien, si je ne connaissais parfaitement votre haute impartialité, je me garderais bien de vous écrire avec tant de liberté, liberté qui, dans le cas contraire, serait dangereuse pour moi. Vous savez que, pour une âme ulcérée, il n’est pas de consolation plus grande que d’avoir un ami avec lequel on peut s’entretenir comme avec soi-même. Or, vous êtes pour moi un ami tel que je sais bien que ma sécurité vous est aussi à cœur que votre propre sécurité. À vous seul vous êtes plus pour moi que la Cour tout entière de la Princesse. Du reste, tranquillisez-vous. N’allez pas intercéder encore pour moi auprès de votre souveraine, et n’essayez pas d’adoucir son inflexible courroux. Que le Sénéchal, s’il le veut, s’occupe de le faire. C’est lui qui, bien qu’il n’y ait pas de sa faute, a été la cause inconsciente de tout cela. Je vous supplie en outre de ne pas à l’avenir m’adresser vos lettres avec cette suscription de Conseiller ou de Médecin de la Reine ; je déteste ces titres et je condamne l’espoir que j’en avais conçu ; je reprends la parole et le dévouement que je lui avais jurés. Je suis résolu de la considérer à l’avenir non comme ma Souveraine (elle a cessé de l’être), mais comme une Jézabel cruelle et perfide.

N’ai-je pas raison, si son esprit est plus accessible aux calomnies des envieux qu’à la crainte de m’offenser, si la méchanceté des médisants a tant de puissance sur elle que la vérité et la vertu lui deviennent un objet de mépris, si elle récompense par de la haine de longs et de fidèles services, si elle juge que de bons offices sont indignes de récompense si elle retire son appui, ses secours, sa bienveillance à un homme qui est devenu pauvre pour elle ? Prenons pour arbitre un homme probe et impartial et qu’il juge ! Sans aucun doute, il convaincra ces gens perfides de méchanceté ; quant à moi, il ne pourra m’accuser que de malchance.

Adieu, très cher. Vous saluerez pour moi Lefebvre, Cop[1] et Budée[2], ces Patriarches des Lettres et de la Sagesse, ainsi que tous ceux qui m’aiment. Je leur souhaite à tous bonne santé et toute sorte de prospérités. Quant aux autres courtisans, que les Dieux les damnent. Je déteste également et les Princes et les Cours. Adieu encore une fois. Ma chère épouse vous salue aussi, cette compagne éprouvée et fidèle de ma bonne et mauvaise fortune.
  1. Médecin du roi.
  2. Guillaume Budée, l’helléniste du Collège de France et conseiller de François premier, était l’ami et le protecteur naturel de tous les hellénisants. L’impétueux jeune moine cordelier qu’était Rabelais en 1524 et son camarade Pierre Amy en savaient quelque chose aussi bien qu’Agrippa.