Page:Ossip-Lourié - La Psychologie des romanciers russes du XIXe siècle.djvu/163

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à la campagne. Cependant le père André doit être à Saint-Pétersbourg. As-tu vu Nicolas ? Dis-lui bonjour de ma part. Embrasse tes enfants pour moi et dis à ta femme que je suis heureux qu’elle ne m’oublie pas. Et puis, ne te tracasse pas de moi. Il me suffit d’être bien portant. L’ennui est une chose qui passe, et il ne dépend que de moi d’être de bonne humeur. L’homme porte en lui des provisions inépuisables de résistance et de vitalité. Jamais je ne les aurais soupçonnées, si l’expérience ne s’était chargée de me les faire découvrir.

« Eh bien ! donc, adieu ! Salue tous ceux que tu verras et que je connais ; n’oublie personne, car, moi, je me l’appelle tout le monde et je pense à tous. Que disent les enfants de ma disparition subite ? Que supposent-ils  ?... Adieu ! Si c’est possible, envoie-moi les Otietschestvenniia Zapisky[1]. Ce sera toujours quelque chose à lire ! Réponds-moi, tu me feras beaucoup de plaisir. Au revoir. Ton frère, Th. Dostoïevsky. »


Le procès eut lieu à huis clos. Les juges reconnurent le groupe Pétrachevsky comme une société secrète menaçant la sûreté de l’État. On constata bien qu’il y avait entre les jeunes révolutionnaires divers degrés de culpabilité, mais la loi n’admettant pas de circonstances atténuantes, tous les accusés furent condamnés à mort.

La commutation de peine leur fut annoncée sur le champ d’exécution. Dostoïevsky n’en exprima aucune joie. Ces moments tragiques eurent une répercussion néfaste sur sa santé ; on doit y attribuer l’origine de son épilepsie, aggravée encore par les travaux forcés. Après le simulacre de l’exécution, Dostoïevsky écrit à son frère :


« De la forteresse, 22 décembre 1849.

« Aujourd’hui, 22 décembre, nous avons été amenés sur la place Sémenoff. Là, on nous a lu l’arrêt de mort ; on nous a permis d’embrasse la croix ; on a brisé les épées au-dessus de nos têtes et nous avons revêtu la toilette de mort, — de blouses blanches. Puis on plaça contre les poteaux les trois d’entre nous qui allaient être exécutés les premiers. Étant le sixième dans la deuxième série, il ne me restait guère plus d’une minute à vivre.

  1. Revue russe de l’époque.