Page:Ossip-Lourié - La Psychologie des romanciers russes du XIXe siècle.djvu/195

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

prise, par cette seule raison que son « entreprise » n’est pas un crime. « Que je conserve seulement ma présence d’esprit, ma force de volonté, et, quand le moment d’agir sera venu, je triompherai de tous les obstacles. » Mais il ne se met pas à l’œuvre. Moins que jamais, il croit à la persistance finale de ses résolutions.

Le moment cependant est arrivé.

Lorsque Raskolnikov essayait de se représenter par avance la situation qui est maintenant la sienne, il se figurait parfois qu’il serait très effrayé. À présent, contrairement à son attente, il n’a pas peur du tout. Des pensées étrangères à son « entreprise » l’occupent. « C’est ainsi sans doute que les gens conduits au supplice arrêtent leur pensée sur tous les objets qu’ils rencontrent en chemin. » Cette idée lui vient à l’esprit, mais il se hâte de la chasser. Cependant, il approche, voici la maison, voici la grand’-porte, voici l’escalier, voici la porte d’Anna Ivanovna, l’usurière.

Raskolnikov étouffe. Il a une seconde d’hésitation : « Ne ferais-je pas mieux de m’en aller ? » Sans répondre à la question, il se met aux écoutes, il tâte sa hache… « Ne suis-je point trop pâle ? N’ai-je pas l’air trop agité ? » Loin de s’atténuer, les pulsations de son cœur deviennent de plus en plus violentes… Il n’y peut tenir davantage et, avançant lentement la main vers le cordon de la sonnette, il le tire…

Il apporte un objet à engager.

— Que vous êtes pâle ! lui dit Anna Ivanovna, vos mains tremblent. Vous êtes malade ?

— J’ai la fièvre, répond-il d’une voix saccadée. Comment pourrait-on ne pas être pâle quand on n’a pas de quoi manger ? achève-t-il non sans peine.

D’un coup de hache, il tue la pauvre vieille femme ; la sœur d’Anna, Elisabeth, se présente inopinément au