Page:Ossip-Lourié - La Psychologie des romanciers russes du XIXe siècle.djvu/203

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Comme Raskolnikov par son acte criminel, Zarathoustra enseigne à être dur :

« Pourquoi si dur ? dit un jour au diamant le charbon de cuisine ; ne sommes-nous pas intimement parents ? Pourquoi si mous ? Ô mes frères, ainsi vous demandé-je, moi ; n’êtes-vous donc pas mes frères ? Pourquoi si mous, si fléchissants, si mollissants ? Pourquoi y a t-il tant de reniement, tant d’abnégation dans votre cœur ? si peu de destinée dans votre regard ?

« Et si vous ne voulez pas être des destinées, des inexorables, comment pourriez-vous un jour vaincre avec moi ? Et si votre dureté ne veut pas étinceler et trancher et inciser, comment pourriez-vous un jour créer avec moi ?

« Car les créateurs sont durs. Et cela doit vous sembler béatitude d’empreindre votre main en des siècles comme en de la cire molle.

« Béatitude d’écrire sur la volonté des millénaires comme sur de l’airain — plus dure que de l’airain, plus noble que de l’airain. Le plus dur est le plus noble.

« Ô mes frères, je place au-dessus de vous cette table nouvelle : Devenez durs ! »

Cela n’empêche pas Zarathoustra de chanter l’hymne à l’amour : « Il y a en moi quelque chose d’inapaisé et d’inapaisable qui veut élever sa voix. Il y a en moi un désir d’amour qui parle lui-même la langue de l’amour… »

Le crime de Raskolnikov ne l’empêche pas d’être bon. C’est que Raskolnikov et Zarathoustra, c’est-à-dire Dostoïevsky et Nietzsche planent dans le monde des représentations et des idées.

Zarathoustra est plus conséquent avec lui-même que Raskolnikov ; il admet la « mort à temps ».

« Beaucoup meurent trop tard, dit-il, et quelques-uns meurent trop tôt. La doctrine : Meurs à temps semble encore étrange. »