Page:Ossip-Lourié - La Psychologie des romanciers russes du XIXe siècle.djvu/410

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

384 LA PSYCHOLOGIE DES ROMANCIERS RUSSES idées lui est totalement étranger : quelques lectures fugitives de Gogol, des vers épars du poète populaire Koltsov, l’histoire de Stenko-Razine, des épisodes de l’histoire de Russie — c’est tout. A l’âge de dix-sept ans, le hasard de son vagabondage l’amène à Kazan, ville universitaire ; il fait la connaissance d’étudiants qui se mettent à l’instruire, et, tout en étant aide chez un boulanger, Gorki lit des livres qu’on lui prête. « La boulangerie était dans un sous-sol dont les fenêtres se trouvaient au-dessous du niveau delà rue. Il y avait peu de lumière, peu d’air, mais beaucoup d’humidité et de poussière de farine. Un énorme poêle occupait presque le tiers de la cuisine. L’odeur du levain pénétrait l’air malsain. Le plafond enfumé, le mélange de la lumière grise du jour avec celle du feu du four donnaient un éclairage fatigant pour la vue. » Qu’importe à Gorki ? Il se lie avec un autre ouvrier bou- langer, vagabond comme lui, Konovalov, un véritable artiste dans son genre. « Il fallait voir comme il maniait un bloc de pâte de 7 poudes ! Les premiers temps, en le voyant précipiter dans le four les pains non cuits que j’avais à peine le temps de tirer de la cuve pour les jeter sur sa pelle, je craignais qu’il ne les mît les uns sur les autres. Mais j’ai éprouvé pour lui une véritable admiration quand il eut enlevé trois fournées sans qu’aucun des cent vingt pains, beaux, dorés, ait été abîmé. » Konovalov aimait son travail, s’exaltait pour ce qu’il faisait, était triste quand le four cuisait mal ou que la pâte ne montait pas. Il était, au contraire, heureux, si les pains sortaient du four ronds et réguliers, dorés à point avec une croûte mince et ferme. Il prenait de la pelle le plus beau pain et le faisait sauter d’une paume sur l’autre, s’exclamant : « Quelle beauté ! »

. Konovalov.