X AVANT-PROPOS
Tolstoï accable l’homme et la société, et il en souffre le premier. Son blâme n’est jamais suspect. On sent qu’il se tairait s’il le pouvait. Son influence est salutaire : il ne décourage pas, il fortifie. Sa parole sincère, en nous forçant à un retour sur nous-mêmes, nous apprend la justice et la tolérance, les deux vertus de l’éclectisme que tout être pensant peut pratiquer hardiment.
Tolstoï est devenu un centre autour duquel toute une fraction du monde intellectuel évolue : les uns l’attaquent, les autres l’admirent. Aimé ou haï, il excite irrésistiblement la curiosité, l’intérêt, la passion. Ceux mêmes qui trouvent chez lui des contradictions et du néant, — qui donc a jamais songé à reprocher à un rocher d’être escarpé ou à une cime de donner le vertige ? — ceux qui estiment la doctrine du tolstoïsme inconciliable avec notre conception actuelle de la vie, — securus judicat orbis terrarum, — ceux-là mêmes voient dans le doux rêve de ce « moujik lettré » l’idéal, irréalisable encore, vers lequel doit tendre l’humanité. Personne ne peut nier qu’il n’y ait à notre époque aucune figure aussi captivante que celle de Tolstoï. D’une indépendance qui ne redoute point les puissances politiques et sociales, il va toujours jusqu’au bout de sa pensée, proclame, sans s’arrêter aux obstacles ou aux dangers, ce qu’il croit être la vérité. Et la voix de Tolstoï n’est