Page:Otlet - Problèmes internationaux et la guerre.djvu/124

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2. À côté des clauses sociales et des castes, parmi elles, il faut distinguer les classes dirigeantes, c’est-à-dire celles qui directement dominent, influencent les autres, conduisent les affaires de la communauté, font les lois comme elles l’entendent et souvent à leur profit. Ainsi, en Allemagne, les généraux, les colonels de cavalerie et les anti-négociants sont tout-puissants. En Angleterre les dirigeants sont issus des classes commerçantes ou, tout au moins, pénétrés sans exception de l’esprit commercial du monde moderne. Pour comprendre l’évolution d’un peuplé, il importe de connaître la composition de sa classe dirigeante. Une classe dirigeante devient une caste (un groupe d’hommes liés entre eux par une solidarité de fonctions dans la société. Exemple : Brahmanes de l’Inde, noblesse féodale) quand elle se forme, se crée un droit particulier, s’arroge dès privilèges, se réserve certains honneurs et certains postes de l’armée et de l’administration, enfin se superpose au reste du peuple, comme si elle avait une existence indépendante dans l’ensemble de la nation. Elle peut ne pas être une caste, se composer d’une caste et d’un autre élément encore ou quelques autres[1].

3. Le rôle des individualités dirigeantes doit aussi être bien reconnu. Ainsi, en Espagne, dans chaque province, dans chaque ville on trouve une personnalité centrale, qui incarne la justice et la force, que la tourbe admire, à laquelle l’opinion obéit et qui impose mœurs et idées. Ce sont les « caciques », fondement de la politique espagnole. Dans l’Amérique latine ce sont les « caudillos », fauteurs des révolutions.

4. Ces observations sont pleines d’intérêt au point de vue international. En effet ; a) La permanence dans certains pays de véritables castes, soit anciennes, soit fondées sur des privilèges nouveaux, fausse le mécanisme des institutions politiques. S’opposant à la réalisation des aspirations des peuples, elles cherchent dans la guerre et la conquête des dérivatifs, des occupations suprêmes. — b) Les classes sociales de tous les pays se sentent des affinités communes entre elles à raison de l’identité de plus en plus grande de leur situation (les ouvriers, les capitalistes, les nobles, les intellectuels). — c) Les luttes de classes tendent à se substituer aux luttes de races. Elles peuvent s’organiser sur des bases qui ne tiennent plus compte des frontières. Dans la présente guerre, cependant l’entente internationale des travailleurs n’a pas prévalu, mais on sait les discussions qui ont eu lieu à ce sujet (voir n° 293.54). Ainsi les socialistes estimaient que l’esprit des masses du prolétariat et celui des classes possédantes sont absolument opposés : d’où le mot d’ordre « la lutte des classes », formule de Karl Marx, exprimant que les ouvriers ne pouvaient améliorer leur situation que dans une lutte avec les autres classes. Logiquement on en vint à se

  1. M. Millioud, Idéologie de castes, « Revue universelle », nov. 1914, p. 198.