Page:Otlet - Problèmes internationaux et la guerre.djvu/276

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

26. FACTEURS CULTURELS : LA VIE INTELLECTUELLE




La vie intellectuelle s’étend et s’amplifie chez tous les peuples civilisés. Elle conquiert sa place à côté de la vie économique. Comme chez celle-ci nous allons y constater les tendances générales vers le progrès, l’organisation et l’internationalisation.

Les éléments de la vie intellectuelle comprennent les langues, les religions, les sciences pures et appliquées, les lettres et les arts, l’instruction et l’éducation, la presse. Tour désigner tout à la fois les intérêts intellectuels et les branches de connaissance et d’organisation qui y répondent, il faut un mot unique et caractéristique, comme le mot « économique » désigne, lui, l’ensemble des intérêts matériels. Le mot « Culture » et l’adjectif dérivé « culturel » peuvent s’employer à cet effet.

La mise en œuvre de tous les éléments de la Culture agit sur les peuples, façonne leur mentalités et produit leurs idéals. Inversement, la psychologie foncière propre à chaque peuple se retrouve largement dans toutes les manifestations de leur esprit. Un assiste ainsi au spectacle d’une lutte entre deux tendances opposées : les cultures nationales, ethniques, particulières, aux prises avec une culture mondiale, formée du meilleur d’elles toutes ; la lutte entre les forces intellectuelles qui unissent et celles qui séparent les hommes. Dans cette guerre universelle, ce ne sont pas seulement des intérêts économiques et politiques qui sont en présence. Ce sont aussi des idées, des principes, des civilisations, des humanités contraires : la culture classique contre la culture allemande, la première se considérant comme la culture traditionnelle qui depuis trente siècles est l’éducatrice du genre humain, l’autre faite d’un bloc national de doctrines politiques, morales, scientifiques et esthétiques, qui proclament sa supériorité sur la première et même sa volonté d’en faire table rase[1].

  1. Gaston Gaillard, Culture et Kultur, (1915). — Romain Rolland a écrit pendant la guerre : « Jamais je n’ai cessé de combattre, comme le pire ennemi de l’unité morale de l’Europe, le militarisme prussien et ses doctrines monstrueuses. Mais en même temps ma connaissance du peuple allemand et l’étude attentive de son état d’esprit depuis le commencement d’août m’ont fait voir la criante injustice qu’il y aurait à l’envelopper dans la même haine que ses maîtres, dont il est la victime héroïque et aveugle. C’est contre cette injustice que j’ai protesté. C’est le rôle des intellectuels de travailler à dissiper les malentendus meurtriers entre les peuples. Que la guerre se livre entre des armées et non entre les pensées. La pensée c’est la cité de Dieu. Que la haine se taise et s’éteigne à la porte ! » (Au dessus de la mêlée).