Page:Otlet - Problèmes internationaux et la guerre.djvu/299

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fier en rien les droits de la raison et de l’expérience, embrasserait le cosmos dans son unité[1].

Mais les progrès de la libre pensée et de l’athéisme sont grands. La libre pensée tend à unifier toutes les doctrines, toutes tes idéologies fondamentales : ce n’est ni le catholicisme, ni le protestantisme, ni l’islamisme, ni le positivisme. Le sentiment nouveau, né de l’athéisme scientifique, a été exprimé en ces termes par Aug. Forel : « Si l’homme n’espère plus de joie du paradis, il ne craint pas non plus l’enfer avec toutes ses souffrances. La crainte de l’enfer paralyse l’espoir d’un bonheur éternel que personne ne peut comprendre ni se représenter. Nous nous contentons modestement du sommeil éternel après une vie bien et utilement remplie. Nous ne demandons rien de plus. Le travail au bien social, telle est la prière que j’adresse non pas à un Dieu inconnaissable et muet, mais à tous les hommes, mes frères en douleur. Ce sont eux, eux seuls, qui peuvent s’ils le veulent préparer un avenir meilleur à l’humanité, en luttant sans relâche pour le bien et en organisant peu à peu la société humaine dans le monde entier sur des hases équitables[2]. » Les peuples ne veulent plus chanter le cantique de la résignation, échanger leur part de bonheur terrestre contre les vaporeuses hypothèses du paradis. Ils demandent d’abord la justice d’en bas, celle du droit et de la raison au lieu de l’inatteignable et indémontrable justice d’en haut dont ils voient si peu de signes révélateurs ici-bas. A-t-on jamais pu constater l’intervention de Dieu dans le cours des événements mondiaux ? Dieu a-t-il pris parti pour un peuple, une race, un homme contre les autres ? Et quelle est dans l’humanité d’aujourd’hui, divisée à l’extrême, la trace du plan divin ? « Nulle main ne nous dirige, nul œil ne voit pour nous ; le gouvernail est brisé depuis longtemps ou plutôt il n’y en a jamais eu ; il est à faire : c’est une grande tâche et c’est notre tache[3] ! »

5. À cette négation radicale, d’autres opposent l’instinct religieux : la religion largement humaine qui ne veut s’assujettir à aucune formule et qui serait le fond d’une religion universelle : « Je n’ai aucune idée de Dieu, dit Carl Jatho, je n’en ai que l’instinct, le besoin, la foi[4]. »

262.9. DROITS DES RELIGIONS ET DES ÉGLISES. — Il existe un intérêt général à voir régulariser dans de certaines conditions la situation des religions et des églises (Pape, Patriarches, Exarques, Synodes). Elles sont tantôt des facteurs de la vie nationale dans sa lutte pour l’indépendance, tantôt des facteurs de la vie internationale. Un régime de liberté et d’organisation religieuse, con-

  1. Goblet d’Aviella, Science et religion. — Auguste Dide, La fin des religions. — C. Guignebert, L’évolution des dogmes. — Félix le Dantec, L’Athéisme.
  2. Aug. Forel, La libre pensée internationale, 30 avril 1915.
  3. Jean-Marie Guyau, L’irréligion de l’avenir.
  4. W. James, L’expérience religieuse.