Page:Otlet - Problèmes internationaux et la guerre.djvu/58

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les obus sont lancés par d’invisibles ennemis ; contre les moyens-attaques, on ne peut guère se défendre. C’est le hasard qui décide lequel tombera et lequel sera sauvé. La guerre est une sélection à rebours. Ce sont les réformés pour maladies et vices de constitution et les moins courageux, les « embusqués », qui survivent.

Les événements actuels prouvent que l’humanisation de la guerre est une impossibilité. Il a pu être un temps où la guerre était considérée comme un noble combat, l’acte par excellence de la chevalerie, un spectacle mêlé de courage et de générosité. La guerre alors avait son code de l’honneur individuel, que plus tard on s’est efforcé de traduire en lois collectives de la guerre. Ce temps, dont quelques actes de magnanimité amplifiés par la légende ont masqué les réelles horreurs, n’est décidément plus, et, avec les guerres de machines et d’affamements économiques, la lutte est devenue une forme du vol, de la rapine, de l’asservissement. C’est l’antithèse du travail productif, « Tu m’appelles brigand, disait déjà un pirate à Alexandre, parce que je n’ai qu’un navire, tu m’appellerais roi si, comme toi, j’en avais deux cents. »

Il est difficile de penser qu’après ce qu’il aura enduré, le monde soit encore de l’avis des glorificateurs de la guerre et dont la thèse a été exprimée en ces termes par le général von Bernhardi :

« La guerre est un instrument de progrès, un régulateur de la vie de l’Humanité, un facteur indispensable de civilisation, une puissance créatrice. C’est une erreur de penser qu’il ne faille jamais provoquer ou rechercher une guerre. Il ne faut pas voir dans la guerre les calamités physiques qu’elle entraîne, pas plus qu’il ne faut déplorer le mal que fait un chirurgien sans penser aux conséquences d’une haute portée qu’aura l’opération. C’est à la diplomatie à arranger les questions épineuses ou la morale semble menacée. »

Non, l’essence de la civilisation consiste dans l’aptitude à obtenir le résultat maximum avec la moindre dépense d’énergie. La lutte des peuples n’est, pas créatrice, mais destructrice de toutes choses. Elle se manifeste toujours comme un gaspillage d’énergie dépourvu de toute mesure. La guerre actuelle prépare pour demain une humanité diminuée physiquement et moralement.

Une guerre comme celle-ci est une stupidité, une horreur, une peste, une immoralité, une dégradation, une folie, un crime. Il n’est pas d’expressions assez fortes pour la stigmatiser. C’est le suicide de l’humanité, un procédé d’auto-destruction, l’acheminement vers la fin du monde, le vrai fléau de Dieu. La guerre s’est compromise pour toujours aux yeux de tout le monde. Comme épopée, elle ne s’adresse qu’aux moyennes, sinon aux basses mentalités. Elle ne saurait plus nous en imposer ; elle n’est plus glorieuse. Après l’avoir vue à l’œuvre de près, il faut reconnaître que « dans les siècles modernes la seule gloire qui soit enviable est celle de la paix et de la liberté (Renan). »