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DOCUMENTS BIBLIOGRAPHIQUES

la répression des délits. Par le régime qu’a mis en vigueur la loi de 1881, la presse irresponsable est aujourd’hui au-dessus de la loi, puisque les délits qu’elle commet sont presque toujours impoursuivis, puisque quand ils sont poursuivis, les poursuites, lentes, tardives, coûteuses, semblent avoir pour but de sauver le coupable, de décourager le plaignant, puisque les vrais auteurs du délit, soigneusement protégés, voient amener devant les tribunaux l’homme de paille de leur journal, le gérant ; puisque les peines édictées ou prononcées sont inefficaces ou ridicules. L’avocat général Creppé qui s’exprime ainsi demande un tribunal plus moderne composé de trois éléments : le magistrat de profession, le juge populaire et l’expert. Toute personne, association, administration prise en partie ou diffamée par la presse doit avoir le droit de répondre dans l’organe qui l’a attaqué à la même place et pour au moins autant de lignes du même format.[1] 2° Former une ligue de l’élite des journalistes repoussant toutes accointances avec les pamphlétaires et les pornographes (M. Leroy Beaulieu). 4° Créer des associations pour la protection des lecteurs de journaux.[2] 5° Combattre l’idéal bas par un idéal élevé, opposer la presse sérieuse à la presse frivole et corruptrice.

241.329.1 LA PRESSE DANS DIVERS PAYS.

1. Angleterre. — La presse anglaise n’eut pas une longue enfance. Dès le XVIIIe siècle, elle présenta un caractère de virilité. Elle intéressa par des récits de voyage en feuilleton. Elle fut longtemps l’organe de l’opinion, son porte-voix sincère et authentique, le défenseur attitré des intérêts et des citoyens anglais, l’incarnation de l’âme anglaise. La presse est maintenant trustée, aux mains de quelques potentats et risque fort de dégénérer.

Les journaux anglais à l’inverse des journaux français, semblent avoir essentiellement pour but de renseigner vite et bien. Peu de théories, peu de considérations générales : des faits, des faits, des faits. Cette forme de journalisme suffit à elle seule à caractériser la société britannique.

Le journal anglais vise l’information, le lecteur n’y cherche point une direction de conscience. Le journal français est avant tout politique. Le journal anglais dispose de forts capitaux, le journal français pas. Le journal anglais ne peut être vénal, il risque trop ; le journal français est accessible aux tentations.

2. Allemagne. — Les débuts de la Presse y ont été secs et impersonnels. C’est Frédéric II qui, en éveillant la conscience nationale, a donné le premier essor à la Presse, bien que sa puissance d’expansion date surtout de la révolution allemande de 1848. Il y avait en 1928, 3,293 journaux et 4,730 revues. Cette Presse n’est pas centralisée comme en France ; il y a de grands journaux de province.

Quand Bismarck fit voter une loi contre les socialistes (1878) ils s’organisaient sous forme de sociétés sans but politique en apparence, « cercle de fumeurs », cercle choral. Ils transportèrent leur journal en Suisse, à Zurich, d’où les exemplaires entrèrent en contrebande dans toute l’Allemagne. Ils imprimèrent secrètement des feuilles volantes et continuèrent leur propagande.

À Berlin, Scherl, qui fut un colporteur vendant livres et montres, a créé la Woche, puis le Localanzeiger, puis le Tag. Le Tag, vers 1906, a deux éditions : politische qui donnait la reproduction réduite du Localanzeiger ; unterhaltung, toutes espèces d’autres nouvelles. Tous les jours de la semaine le Tag a un autre supplément : agricole, littéraire, etc. Il tire à 100,000. Le gouvernement le subsidiait car c’était précieux pour lui que le public assez cultivé pour lire le Tag demeure dans les opinions moyennes. En tête du Localanzeiger, on trouve en quelques mots le résumé des événements saillants du monde entier. La lecture de ce résumé donnait l’assurance immédiate que l’on pouvait être tranquille, qu’aucun événement ne forçait à modifier le cours de ses idées ou l’orientation de son activité.

En Allemagne les auteurs connus publient souvent leurs essais dans les quotidiens.

À Berlin il y avait environ 10,000 vendeurs de journaux à la rue, dont 6,800 avaient leur place stable.

Pendant la guerre, Ludendorff organisa la fameuse « Kriegspresseamt ». Wolf mentait, mentait toujours. « Le mensonge est un devoir patriotique », telle fut la devise. Le pouvoir militaire étant omnipotent, le pouvoir civil n’existait plus. La propagande du Kriegspresseamt s’inspirait de deux principes : l’espoir et la haine.

Il y eut tout un temps deux presses officieuses, celle de la Chancellerie et celle de von Tirpitz qui avait organisé au Ministère de la Marine un bureau de presse à tendances pangermanistes. La presse n’a guère été qu’un informateur officiel, obligé notamment d’insérer les articles préparés par l’autorité. Le gouvernement faisait publier des articles par l’intermédiaire non seulement de ses organes mais de journaux indépendants. Le gouvernement a déclaré que les articles de sources officielles ont pour but de fournir aux petits journaux des nouvelles intéressantes.

C’était l’agence nouvelle « Tranzoceana » qui envoyait les nouvelles par télégraphie sans fil au cours de la guerre, les câbles sous marins étant devenus inutilisables. Cette

  1. Lors du vote de la loi scolaire par les catholiques en 1884, Le Journal de Bruxelles créa le Bureau des démentis ; en moins d’un mois on parvint à purger les feuilles des adversaires de la plupart des canards dont elles nourrissaient leurs lecteurs à l’occasion de cette loi.
  2. Le jour où nous pourrons faire une nouvelle législation sur la Presse, séparer la Presse littéraire et politique de la Presse financière, nous aurons fait une heureuse besogne d’assainissement. (Franck à la Chambre Belge, 16 mars 1922, p. 379.)