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LE LIVRE ET LE DOCUMENT

La T. S. F. (conférences, concerts, théâtre ou reportages) devient le livre le plus attrayant et le plus passionnant ; chacune des divisions du cadran condensateur d’un récepteur est une tranche de vie que le haut-parleur reproduit fidèlement à notre commandement, sans manœuvres compliquées.[1]

c) Le radio participe du livre en ce que son audition peut être individuelle. Il s’adresse au seul sens de l’ouïe et à des auditeurs pour la plupart isolés dans leur foyer. Il ne se prête pas aux influences des auditeurs ou des spectateurs assemblés dans un même local (influence des foules, assemblées publiques, meetings).

Mais d’autre part, comme le livre a tué le manuscrit, il est possible que la machine parlante tue le volume imprimé dans les temps à venir. La machine parlante écrit un texte sur les ondes et le fait entendre à tous les vivants, sur toute la surface du globe : par là elle dénature et ruine le dialogue intérieur fait de silence, qui est le délice du livre. Nous allons à un monde où la solitude même du cœur sera publique.

d) toutes les civilisations, toutes les littératures ont connu tout d’abord une force orale. C’est par la voix humaine que se transmettaient de génération en génération toutes les vieilles traditions et la musique et la poésie, toutes les manifestations intellectuelles des races. Chants d’Homère, légendes scandinaves, folklores locaux, légendes terrifiantes, chansons historiques et complaintes. L’écriture d’abord, l’imprimerie ensuite ont relégué l’audition orale de la pensée dans un domaine plus étroit. Rôle des livres imprimés dans ce grand mouvement de l’esprit qui porte nom la Renaissance. La science lui donne aujourd’hui une puissance telle que la découverte de la radiodiffusion apparaît dans la vie de l’homme comme un phénomène social plus lourd de conséquences que l’invention de l’imprimerie elle-même.

e) Le radio connaît un développement considérable à une époque où toutes nos idées, toutes les valeurs sociales admises dans la masse jusqu’en 1914, sont directement ébranlées.

Évidemment cet état de choses soulève les responsabilités pour la diffusion des doctrines fausses, des transmissions délétères et immorales. L’invention d’un moyen aussi puissant que la radio coïncide avec une période de fermentation intellectuelle et sociale. À une échelle plus grande, le fait de l’imprimerie produite à la Renaissance pourra se renouveler. Mais on attend les géants qui pourront s’emparer de l’instrument et l’utiliser pour des tâches à la hauteur de sa puissance.

f) À ce jour plus de 13 millions d’appareils de radiophonie sont en usage dans le monde entier. Il y a dans le monde 420 stations fonctionnant régulièrement.

Aux États-Unis : 168 stations, 15 millions d’auditeurs ; budget : 2 milliards de francs français. Pas de taxe. Suède : 31 stations, 162,000 auditeurs ; budget : 690,000 fr. Taxe 48 fr. par poste. Allemagne : 29 stations, 3,980,000 auditeurs ; budget : 537,400,000 fr. Taxe 63 fr, par poste. France : 23 stations, 800,000 auditeurs ; budget : 4 millions 800,000 fr. Aucune taxe. Belgique : 5 stations, 228,400 auditeurs ; budget : 6 millions de fr. Taxe 60 fr. par poste à lampes.

243.42 Technique.

a) Les progrès techniques ont été rapides. Aujourd’hui le synchronisme est obtenu. Le fonctionnement devient absolument automatique : index sur un cadran de lecture. On a des appareils combinant le gramophone et le radio. Par un seul bouton de manœuvre, on passe d’un bouton à l’autre. Le « tout contrôle » permet de choisir la localité préférée. Un instrument permet à la réception des signaux leur lecture à l’oreille par le son. Un appareil spécial, le micro portatif, est attaché aux épaules du reporter qui reste ainsi libre de ses mouvements et toujours à distance égale du micro.

b) La Broadcasting House de Londres, inaugurée en mai 1932, est le centre de radio le mieux équipé du monde. Elle a coûté 900,000 livres et comprend 22 studios, chacun établi pour un genre d’émission déterminé. Les studios sont à l’abri des bruits, placés dans une sorte de tour au centre même des onze étages. Chaque genre de programme nécessite son studio et chacune des 22 salles a été établie dans un but précis, car il faut un genre d’audience pour chaque genre d’émission, pour donner à l’auteur le relief sonore qui contribue à rendre plus fidèle la transmission radiophonique. On procède dans une place spéciale (mixed unit) à un dosage savant d’intensité des effets recueillis par chaque microphone : une sorte de chimie du son, mélange acoustique où interviennent aussi les hauts-parleurs et des « echorooms », chambres à écho.

L’émission réalisée par le speaker, l’orchestre ou les acteurs est contrôlée par des aides-régisseurs et un régisseur central, « régisseur acoustique ». Celui-ci dirige l’émission du studio d’une chambre de contrôle (contrôle room) central muni d’une série d’appareils de mesures reliées à des récepteurs d’essai placés à quelques kilomètres. Là est disposé une série de clés et boutons pour effectuer les dosages de sons (volume contrôlé). Enfin le contrôle de tout ce qui passe par « la contrôle room » se fait au pupitre de supervision où un ingénieur peut aussi surveiller la marche de l’ensemble de toutes les émissions.

Des signaux, lampes de différentes couleurs, portent les instructions. La lumière rouge, signal devenu conventionnel dans tous les studios, veut dire « attention, le monde t’écoute ». L’ensemble de la maison comprend 180 pièces, 1 km. 6 de corridor, 800 portes, 80 km. de fils

  1. Comité Radiophonique de l’Enseignement : La Parole Libre T. S. F.