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INFLUENCE DU LIVRE

consiste à comprendre le contenu d’un document, conduit à perfectionner l’intelligence.

i) Sont en présence ici la logique exprimée dans le livre à lire, et la psychologie selon les lois de laquelle procède l’esprit qui lit. La logique offre le procédé par lequel les liens mêmes des choses exprimées par les termes du langage sont mis en évidence alors qu’ils n’apparaissent ni directement ni spontanément. La logique procède discursivement comme notre esprit. Si les rapports entre A et C ne sont pas évidents, en les rapprochant tous deux, dit-elle, par l’intermédiaire de B, l’implication implicite jusqu’alors devient explicite. C’est la fonction du syllogisme qui se ramène à la formule : Si A est dans B et C aussi dans B. alors A est dans C.

j) Pour bien comprendre le mécanisme de la lecture, il faut voir en lui l’inverse du mécanisme de l’écriture. Une fois bien connu comment nous pensons, nous parlons et nous écrivons, une fois constaté que nous procédons par simplification, intuition et sous la forme implicite, il nous est plus facile de concevoir comment nous lisons.

k) Que se passe-t-il quand il y a compréhension ? Le cerveau procède à un travail actif pour saisir le lien entre deux ou plusieurs choses. Le cerveau opère à la manière dont il est procédé à l’établissement d’une liaison entre deux lieux physiques : on crée une route et celle-ci est la représentation matérielle de la liaison. Y a-t-il dans le cerveau quelque connexion anatomique ou physiologique (commixture) qui se formerait matériellement pour réaliser matériellement la connexion psychique ? Et s’il en était ainsi, l’hérédité se comprendrait mieux comme aussi la facilité de faire profiter une connexion établie à tous les autres, de faire même qu’un simple exercice intellectuel, comme l’étude des langues anciennes, serve à délier l’intelligence même, à la rendre plus apte à toutes autres études.

l) L’admirable de la compréhension des nombres ! Il suffit d’avoir une fois pour toutes compris les dix chiffres, les dix rangs de chiffres et leurs rapports les uns aux autres, pour comprendre ensuite tous les nombres.

m) Le langage n’est peut-être que le développement analytique et grammatical du cri qui lui est synthétique. Une pluralité de voies est ouverte pour exprimer une pensée quelconque (par ex. l’ordre différent des mots, la voie active ou la voie passive), ce qui tendrait à faire croire à la prépondérance de la pensée implicite sur la pensée explicite.

n) La fraîcheur d’impression et l’intuition est le propre des natures simples. La fixation intellectuelle de l’intelligence est produite par l’abus de la pensée explicite. Celle-ci enferme l’esprit comme en une carapace solide et lourde dont il a peine a s’évader. Pensons à l’abus de la scolastique après les belles périodes du thomisme au moyen âge.

o) Pensons-nous en forme de langage (mots ou images) qui exige un certain temps d’audition et même de vision) ou bien pensons-nous intuitivement au moyen de quelque chose de très subtil, sui generis, permettant de percevoir instantanément et d’induire ou de déduire sans lenteur ce que nous avons perçu ? En ce dernier cas que serait ce « Quelque chose », et comment arriver à le fixer directement pour, ainsi, parvenir à des complexes plus puissants ? La notation, qui est une véritable condensation d’idée, le schéma qui en est une abstraction et une simplification nous mettent sur le chemin de la découverte.

p) L’organisation peut prendre trois directions : les institutions, les opérations, les fonctions. On voit la lecture s’exercer simultanément dans toutes les trois. Un vague sentiment peu à peu se formule et se prépare en ces termes : Qu’un humain qui ne lit pas est un homme aussi dangereux à lui-même et à autrui que celui qui n’est pas passé par l’école. La lecture quasi-obligatoire est en voie de se réaliser par des moyens de persuasion et non de contrainte. On pourrait déjà parler d’un débit de lecture continue. En langage des chiffres, on aurait le débit heure individu moyen, d’où un débit-heure national pour tous les individus du pays et mondial pour leur totalité. Ce débit (D) est facteur du nombre et de l’étendue des livres (L), du nombre et de l’intensité de fonctionnement des organismes de distribution (Librairie et Bibliothèque) (B + L), des dispositions d’esprit et du goût des lecteurs (E), ainsi que du temps dont ils disposent (T).

D’où cette formule :

Sans pouvoir le préciser par des chiffres, on peut cependant affirmer que le débit mondial des lecteurs en 1930 a dépassé le débit des années antérieures.[1]

258 Influence du Livre. Amour du Livre.

Une fois produit et répandu, quelle influence a le Livre ? L’examen de cette question soulève divers points : la diffusion plus ou moins rapide des écrits ; la propagande et l’opinion publique ; l’influence particulière de la poésie et du roman ; le livre et l’action ; l’amour du livre et les diverses manières de s’y intéresser ; la bibliophilie et le mécénat.

258.1 Influence du livre.
258.11 En général.

a) L’utilisation du livre est directe, localisée, immédiate dans la lecture et la consultation. Elle est aussi indirecte,

  1. Mirguet, Victor : La lecture expressive. — Riquier, Léon : Leçons de lecture expressive. — Legouvé, Ernest : L’art de la lecture. — Yoland, Victor : Le bon langage. — Mlle Tordeus : Manuel de prononciation. — Sigogne : l’art de parler.