Page:Ourliac - Nouvelles.djvu/112

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

vous dire l’événement qui m’a jeté dans la solitude. Il y a si longtemps… tout a changé… que je ne me crois plus obligé à rien parmi les hommes, j’imagine que c’est l’histoire d’un autre malheureux qui vivait sur cette terre, où je ne suis plus depuis longtemps.

J’avais vécu dans tous les désordres que vous pouvez imaginer. Un jour, il fut question de me marier : on me proposa une personne qu’on jugeait convenable à tous égards. Je me mariai par lassitude, par inquiétude d’esprit, par désir du changement… Mon Dieu oui, je me mariai… Ah ! bénissons Dieu !

Il semblait que l’ermite eût oublié son auditeur, et qu’il se fît ce récit à lui-même. Il parlait à voix basse, et s’interrompait souvent, sans doute à cause des souvenirs et des réflexions qui lui venaient en foule. Il se retourna vers moi un moment, et à la vive lueur du foyer je pus examiner son visage, que je n’avais fait qu’entrevoir, et qui était d’une douceur surprenante. Ses yeux, malgré leur faiblesse, avaient conservé le pur éclat de ceux des enfants. Ses joues décrépites portaient quelques traces de couleurs vermeilles. Il avait encore tous ses cheveux, drus et vigoureux comme ceux d’un jeune homme, mais presque tout blancs. Ce visage se rapportait à merveille à sa voix, qui était faible, douce, et dont les intonations étaient autant de soupirs.

Ah ! mon fils, je devais commencer à expier ainsi la vie que j’avais menée jusqu’alors. J’étais vain, jaloux, orgueilleux des succès que j’avais eus dans le monde. J’épousai une femme sans mœurs… Non, le mot est trop fort… une femme sans éducation, ce qu’on appelait une