grand à Aigues-Mortes par le voisinage des marais et les exhalaisons d’un pays fiévreux. Il résulte du seul soulagement que les habitants puissent apporter chaque soir, à force d’ongles, à ces démangeaisons, des excoriations sur toute la peau. Thibault avait imaginé deux râpes douces, d’un effet justement calculé sur la délicatesse de l’épidémie et la dose nécessaire de friction ; il s’en servait régulièrement tous les soirs à sa fenêtre, après avoir quitté ses bas chinés, pour l’édification des voisins.
La découverte d’un vieux volume, au fond d’une armoire de famille, poussa son esprit inventif à des recherches plus importantes. Ce livre était le Voyage dans les États du soleil, par Cyrano de Bergerac ; dans cet ouvrage, le voyageur, en quête de nouveaux moyens pour s’élever vers l’astre du jour, finit par s’aviser que le soleil pompe à son lever les rosées répandues sur la terre : il emplit un nombre considérable de bouteilles de cette rosée et se les attache autour du corps ; après quoi il se met en plaine un beau matin, et le soleil aspirant les vapeurs enlève le voyageur avec elles. Cette théorie échauffa la cervelle de Thibault ; mais trop noble et trop délicat dans son ambition pour s’astreindre à des imitations serviles, il négligea le procédé des bouteilles pour reprendre l’éternelle tentative d’un appareil ailé. Ce n’était pas qu’il voulût renouveler ce voyage au soleil ; il ne pouvait croire au succès dont se vantait l’auteur ; son unique désir était de réaliser la chimère d’une progression aérienne à l’usage des hommes. Thibault appartenait dès lors au temps présent par ses conceptions prématurées : il était digne de découvrir les bateaux à hélices et les chemins de fer at-