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Page:Ourliac - Nouvelles.djvu/136

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gner au supplice ; j’aurais traversé la foule en m’appuyant sur toi (il me jetait une main sur l’épaule et gesticulait noblement de l’autre), et tu m’aurais vu sans peur recevoir le coup mortel ! C’était là le moment de déployer ce beau caractère…

Je reconnaissais mot à mot les inspirations de l’ouvrage dramatique qui l’avait tant ému, et dont le titre s’arrêtait sur ses lèvres. Peu de temps après il se maria ; mais sa femme mourut en lui laissant deux filles, avec lesquelles il vit encore aujourd’hui dans un coin reculé de la ville. Je n’ai plus de ses nouvelles depuis longtemps. Vous voyez, Messieurs, que cet homme n’était point exclusivement ridicule. Ajoutez une exacte probité, une pureté de cœur parfaite, la simplicité de la province, avec assez de lecture pour en adoucir la rudesse ; enfin une gravité confiante qui donnait du poids à tous ses propos, et qui imposait même quand il développait les bienfaits de la plus singulière de ses découvertes. Je l’appellerais volontiers le don Quichotte de l’industrie. Hélas ! plus malheureux que le chevalier de la Manche, il ne s’est jamais vu l’armet en tête et la lance au poing ; le vaillant hidalgo croyait du moins combattre, triompher, exercer dans tout son éclat sa noble profession de chevalier ; tandis que le pauvre Thibault s’éteint obscurément dans sa province, sans pouvoir réaliser aucun des rêves magnifiques dont sa tête est remplie.

Ainsi parla mon père ; mais il faut après lui dépeindre le logis de Thibault dans sa ville de province, et donner une idée de la vie obscure et laborieuse qu’il y mena pendant quarante années.