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Page:Ourliac - Nouvelles.djvu/140

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clous, de colle et de bouts de bois. Le carreau de la salle basse présentait à l’œil réjoui les nuances éblouissantes d’un habit d’arlequin, ou si l’on veut d’une pancarte à échantillons ; des briques, des tuiles, des carreaux de toutes couleurs, unis par des ciments divers et des plâtres plus ou moins brunis par le temps, contribuaient à former cette mosaïque ; en outre, Thibault, dans ses rares promenades autour des remparts, n’aurait jamais négligé de ramasser un tesson propre, un bout de brique encore profitable ; il les utilisait dans ses carrelages, et il eût été déraisonnable d’attendre de cette méthode un assortiment bien complet, les cloisons, les portes, les serrures ne devaient pas de moindres services à l’ingénieux propriétaire. Tous les loquets, notamment, étaient depuis longtemps remplacés par des chevilles.

À la longue, l’ancien personnage de Thibault s’était effacé ; il n’était que les vieillards de soixante à soixante-cinq ans, c’est-à-dire de son âge, qui se souvinssent de son rôle de Robert, de sa veste de houzard et de ses démêlés avec les gendarmes ; le mariage, l’éducation de ses enfants avaient détourné son essor poétique. Enfin l’âge était venu, qui avait mûri cet esprit sans lui rien ôter de sa douce gravité, de sa sensibilité, de sa délicatesse pompeuse et mélancolique. Tout le génie de Thibault passait dans ses inventions ; on ne l’en croyait que plus fou, mais on le voyait très-peu dans la ville ! la jeune génération le connaissait à peine ; il ne revoyait les vieux amis de son temps que de loin en loin, par hasard, quand ils étaient affligés de quelques maux d’yeux, de pieds, de dents, ou de toute autre incommodité qui relevait du génie