Page:Ourliac - Nouvelles.djvu/181

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redoubla la curiosité de part et d’autre. Qui pouvait être ce jeune homme si bien élevé, si poli, si charmant ? Collinet, de son côté, était tout en feu. Quand il passait maintenant, la jeune fille souriait encore en baissant les yeux ; il ne doutait plus du bien qu’elle pensait de lui, mais que faire à présent ? Comment la voir, l’approcher ? à qui s’informer seulement de son nom ? et comment s’y prendre sans se trahir, sans la compromettre, sans devenir tous deux la risée de la ville ? et d’ailleurs où cela pouvait-il le mener, lui, pauvre comédien, mal vu, mal famé et repoussé de toute maison honnête ? Ceci mit à vif les plaies de sa condition ; mais enfin sa passion ne s’arrêtait plus. Il n’osa pas raisonner ; il voulut voir, s’informer, courir en aveugle.

Une grande fête arriva, un jour de réjouissance publique ; la ville était dès le matin pavoisée de drapeaux. Il y avait joute sur le canal. La foule s’y portait. Les familles allaient par groupes, grossies de leurs amis ; chacun se connaissant, s’appelant, se saluant au passage. Collinet dans cette joie marchait triste, et seul et pauvrement boutonné dans son vieil habit. Les jeunes gens qu’il connaissait étaient occupés autour des demoiselles parées. Personne ne fit attention à lui. Bien qu’il ne tînt pas au fond à ces divertissements et qu’il estimât ce qu’ils valaient ces cris, ces habits du dimanche et cette joie de province, le contraste était trop marqué. Il n’avait pas, lui, dans cette foule un ami, un parent. Il songea à tant de misère, d’obscurité, à cette solitude au milieu d’une ville étrangère, et son cœur se serra. Mais ce ne fut pas le pire. Il y avait des places d’honneur marquées pour les familles considé-