Aller au contenu

Page:Ourliac - Nouvelles.djvu/187

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

l’on tirait toujours. « Voyez, madame, si mademoiselle Clémence a là de quoi devenir folle ? »

On se lassa. Collinet s’assit sans haleine, sans voix, le visage pâle, les oreilles rouges, la tête en feu, et soufflant avec affectation, comme s’il venait de folâtrer. Les jeunes gens retournèrent paisiblement au billard. Ils jugeaient des coups en fumant, comme si de rien n’était ; mais Collinet accoudé les suivait de l’œil, les dévorait du regard, et ces têtes si calmes et si vides, il les eût dans ce moment-là écrasées à coups de pavé ; enfin, n’y tenant plus, il sortit pour jurer et grincer à son aise.

Pelletier se promenait de long en large dans le café en fumant sa pipe. Il s’avança sur le seuil de la porte. Collinet était adossé au mur en dehors. Pelletier lui donna un grand coup sur l’épaule. Le comédien tressaillit. Son visage était mouillé de pleurs. » Qu’est-ce ? dit Pelletier, tu pleures ? ah, çà ! tu fais l’enfant, ce n’était que pour rire. Toi, pleurer, Collinet ! »

Ces paroles, encore mêlées de ricanements, firent éclater la colère de Collinet. « Laissez-moi, dit-il, vous êtes des lâches. Vous m’arrachez l’âme avec ce secret qui vous a tant divertis. Si vous m’eussiez consulté, je vous aurais dit : Prenez mon sang, prenez ma vie, je rirai avec vous, je ferai comme il vous plaira ; mais de grâce, ayez l’esprit, ayez la miséricorde de ne point parler de cela. — Allons, tu es fou, qu’est-ce que cela signifie ? Tu te fâches tout de bon ! pauvre Collinet ! continuait Pelletier riant toujours. — Vous n’avez donc pas pitié, à la fin, reprit Collinet, du rôle que je joue ? Vous n’avez donc point d’âme ? Vous ne voyez pas combien je suis doux, patient, résigné ; com-